Résumé
L’histoire religieuse et culturelle de l’Occident est jalonnée d’épisodes ayant vu fleurir la haine de la danse. De l’Antiquité à l’actualité récente, se rejoue ainsi, ponctuellement, un argumentaire constitué autour de quelques invariants d’ordre quasi anthropologique : infamie des danseurs, scandale du corps montré en spectacle, danger individuel et collectif de la transe, menace d’une contagion des gestes (et par les gestes).
Ce dossier monographique s’intéresse à l’actualisation de cet argumentaire à un moment où le débat sur la danse est relancé et investi par la querelle sur les spectacles qui agite l’Europe de la première modernité. Les articles sont issus des travaux d'un séminaire qui s’est tenu à l’Institut d’Études Hispaniques de Sorbonne Université au printemps 2019.
L’ensemble de ces travaux vise à interroger la question de la haine de la danse dans une perspective transnationale et interdisciplinaire qui rende compte au mieux de sa complexité sur un long XVIIe siècle. Le dossier commence par une étude de cas, qui précise les enjeux initiaux du débat contre la danse, au moment où débute, au milieu du XVIe siècle, la querelle sur les spectacles : à travers l’analyse du rôle de la danse dans un pamphlet écrit par un pasteur protestant lyonnais, la Chrestienne Instruction, Marie-Joëlle Louison-Lassablière montre l’ancrage initial de la querelle sur la danse dans la question religieuse. Marie-Thérèse Mourey propose ensuite une vaste étude des débats sur la danse en terres germaniques où la question reste profondément enchevêtrée dans la querelle confessionnelle. Marina Nordera, dans une approche qui croise histoire de la danse et théorie des genres, revient sur les archétypes qui constituent la représentation de l’« immodeste » ballerine en Italie entre XVIe siècle et XVIIe siècle. Florence d’Artois s’intéresse au rôle de la danse dans la controverse sur la comedia en Espagne, notamment au moment du règne du « roi danseur », Philippe III. Béatrice Pfister analyse le discours apologétique consacré à la danse en France dans un corpus très ample de traités d’hygiène, ouvrages de dévotion, livrets de ballet, poétiques et traités techniques. Laura Naudeix décrypte la forme et les enjeux que revêt de l’éloge de la danse et des maîtres à danser dans le théâtre de Molière. Enfin, Catherine Kintzler interroge la manière dont, de Bossuet à Rousseau, l’on débat de la nécessité de l’insertion de la danse dans différentes pratiques spectaculaires (tragédie, opéra) pour penser, finalement, avec Cahusac, sa nécessité absolue.
Caractéristiques
Sommaire
Florence d’Artois – Contre la danse ? Enjeux d’un débat au XVIIe siècle
Marie-Joëlle Louison-Lassablière – Pourquoi tant de haine ? La condamnation de la danse dans la Chrestienne Instruction
Marie-Thérèse Mourey – Entre défiance et haine : discourir sur la danse dans l’espace germanique (XVIe-XVIIIe siècle)
Marina Nordera – Archétypes et figures de l’« immodeste ballerine » (Italie, XVIe et XVIIe siècles)
Florence d’Artois – L’affaire du diable. La danse dans la controverse espagnole sur les spectacles
Béatrice Pfister – Du côté des partisans de la danse : place de l’apologie, portraits de l’adversaire dans les textes du XVIIe siècle
Laura Naudeix – La danse vue par Molière : discipline académique et profession artistique
Catherine Kintzler – Haïr le théâtre, haïr l’opéra, haïr la danse dans la France classique