Résumé
« Le cœur et la raison » : le plus souvent comprise sur le mode de l’antithèse, l’alliance de ces deux termes nous apparaît convenue. On connaît la formule désormais éculée : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connait point ». Et cette formule, qui se cite, qui se répète, qui circule aussi facilement, peut-elle s’interroger encore ? L’intensité de sa circulation ne la dérobe-t-elle pas à la réflexion, voire à toute forme de perplexité ?
On sait que la distinction de la raison et du cœur au jour dans les Pensées ne s’est pas imposée d’emblée à Pascal. L’opuscule De l’art de persuader (v. 1655), travaillait l’opposition cartésienne de l’entendement et de la volonté. Ce plus tard que le Pascal des Pensées propose de faire dépendre l’exercice de la raison de la disposition d’un cœur désormais compris comme double instance et des principes de la connaissance et des principes de la volonté.
Loin que ce cœur ait cependant rien de déraisonnable, et que son opposition à la raison doive être absolument durcie. Chez Pascal, l’opposition entre cœur et raison n’est pas si franche qu’il ne semble. Les Pensées s’attachent plutôt à penser l’unité de ce qu’elles distinguent. Les ordres de l’esprit et du cœur se soutiennent réciproquement sans se contredire, elles refusent aussi d’envisager cette réciprocité en termes de complémentarité : le cœur n’est pas l’autre de la raison. Pascal invite à y reconnaître plus profondément un « régim[e] de rationalité ». De même qu’esprit de géométrie et esprit de finesse participent également de l’ordre de la raison, l’ordre du cœur n’est, à son tour, nullement exclusif de du premier – l’inverse n’étant d’ailleurs pas moins vrai. Alors même qu’il semble emblématiser le fonctionnement de la raison, l’esprit de géométrie n’en est pas moins présenté par Pascal comme « mettant en œuvre [cette] dimension du ‘sentir” » qui est l’apanage du cœur, en invitant dès lors à prendre acte d’une « infiltration par le sentiment » du domaine rationnel et à ne pas procéder trop vite à une mise en tension simpliste des facultés de la connaissance.
Caractéristiques
Sommaire
PASCAL, LE COEUR ET LA RAISON
Laurent Susini – Introduction
Sylvain Josset – Une « logique du coeur » ? Max Scheler lecteur de Pascal
Laurent Thirouin – Une idole de la vérité, une idole de l’obscurité
Pierre Lyraud – Penser le corps : l’avant-garde pascalienne
Alberto Frigo – La chronologie des Pensées : une utopie critique ?
Jean-Robert Armogathe – Pascal, auteur classique : la révision du texte des Pensées
Sylvio Hermann de Franceschi – Le débat doctrinal au péril de la plaisanterie et de la raillerie. Innovations discursives et formalités polémiques en théologie : le sillage des Provinciales
VARIA
Barbara Piqué – Pascal, Caussin et l’astronomie moralisée. Note sur une citation dans les Pensées
Nicolas Fréry – « Autour de lui, non en lui » : qualités empruntées et avantages effectifs chez Pascal
Alicia Oïffer-Bomsel – De l’utilité de l’enseignement de Tacite dans une Espagne en crise, selon Baltasar Álamos de Barrientos
NOTES ET DOCUMENTS
François Trémolières – Jacques Le Brun (1931-2020). Critique textuelle et histoire de la spiritualité
Colette Nativel – Marc Fumaroli (1932-2020). Le dernier patricien de la République des Lettres
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