Résumé
« Ce n’était plus une rue mais un monde, un espace-temps de cendres qui tombaient et de presque nuit. » Un homme hagard, blessé et couvert de poussière, portant à la main un attaché-case, émerge des décombres de la tour sud du World Trade Center et avance tel un automate dans les rues méconnaissables de Manhattan. À partir de cette image initiale, Don DeLillo se propose d’écrire ce que fut le 11 septembre 2001, non pas tant comme un drame de l’histoire aux ramifications complexes, que comme un événement éminemment subjectif, vécu à hauteur d’hommes et de femmes, et dont le sens est en permanent devenir sur la distance du roman. Falling Man inscrit ainsi son action dans un après-coup traumatique, chroniquant tout particulièrement l’intimité de conscience d’un couple de quadragénaires, Keith et Lianne, que ce désastre inaugural a de nouveau rapproché. En un savant agencement de vignettes, le roman enregistre sur un mode stéréoscopique la dérive hantée de ces personnages et de leurs proches, s’attachant à la convalescence des corps meurtris comme à celle des psychismes fracturés. À travers l’impossible reconstruction des identités, c’est bien aussi une redéfinition de l’Amérique d’après la chute que propose Falling Man, opposant à la logique de la terreur un contre-récit polyphonique, foncièrement empathique et démocratique.
Caractéristiques
Sommaire
Sommaire
Introduction – Terror Redux
Le sillage de l’événement
Le canon de la fiction post-11 septembre
Questions d’éthique et d’esthétique
Un événement sans comparaison
« In the Ruins of the Future » : matrice et programme théorique
Régime mixte : le roman « essayistique »
L’événement par défaut : conditionnement de l’œuvre à venir
Un événement insaisissable
Amérique année zéro : hantise du vide, programme du rien
L’événement et son effectuation
L’événement par individuation
Le sujet de l’événement
Collapsus / Co-lapse : « That was him coming down, the north tower »
Structures duelles, récits antagonistes
Une chronique de l’après-coup
Le dénouement du macro-récit
La réintégration des corps
Trois régimes de terreur : Bill Lawton, Ernst Hechinger, David Janiak
Ben Laden / Bill Lawton : déni de réalité et création d’un mythe
Ernst Hechinger : la zone grise entre activisme et terrorisme
David Janiak ou la terreur distanciée
« Baader-Meinhof » : les limites de l’empathie
L’effet-cadre de l’incipit et de l’explicit
L’interlapse et le monument : un temps de la parenthèse
L’analepse « Hammad » (« Marienstrasse », « Nokomis », « The Hudson Corridor »)
Fermeture idéologique et complot mortifère
Un triple récit prospectif
Deux précédents, deux modèles : Libra et Cosmopolis
L’explicit apocalyptique
La phrase-événement : le ground zero du roman
Figurations de l’impact (impression, projection, incorporation)
Projet, projection, projectile
Le shrapnel organique : l’hôte de l’Autre
Pulsions de mort
L’empreinte du témoin
Surfaces impressibles, événements marquants
Défamiliarisation et nouvelle normalité
Manhattan, natura morta : lecture de l’incipit
Le schéma actantiel de l’incipit
L’incipit : un monde en éclats
La fin de l’ordinaire
Défamiliarisation et sens du « belonging »
L’expérience de l’Unheimlich
La nouvelle normalité
Un roman phénoménologique
Temporalité de la hantise, tropisme de la menace
Un temps entre répétition et suspens
Moments choisis, cristaux temporels
Temps subjectif et temps du corps (Falling Man / The Body Artist)
Le suspens temporel
La reprise kierkegaardienne
Le présentisme de Keith Neudecker
Le « hors-temps » de Las Vegas
La mémoire : du trauma répétitif à l’amnésie d’Alzheimer
La forme du trauma
L’événement du trauma
La dissociation traumatique (être ici et ailleurs)
La temporalité double du flash-back traumatique
Modalités d’une écriture du trauma : persistance et bouclage
La conscience schizée et dédoublée
Autres symptômes traumatiques : Justin et Lianne
Abréaction et parole cathartique : le cas de Florence Givens
Performativité et communauté de la parole
Une fiction testimoniale
Le témoignage impossible
Définition du personnage témoin
Un partage du sensible
Le discours indirect libre
Un contre-récit éclaté
Un drame de l’incommunicabilité
Vignettes et régime du discontinu : décomposition du point de vue
Défocalisation et pronominalité masquante
Le lecteur entre désorientation et empathie
Écrire la perte de référence
Traduire la disparition
Voir, ne pas voir : la représentation du moment traumatique
Une pronominalité défectueuse
La phrase de DeLillo : cumul et autocorrection
Énoncés flottants et points de fixation
Face aux signifiants vides
Désigner, dénommer, réciter le monde
Transferts, télescopages, circulation des motifs
Un dispositif en miroir
Une logique confrontationnelle
Connexions nodales et transferts signifiants
L’attaché-case comme embrayeur narratif et mise en abyme
Lianne : force d’empathie et de décadrage
Le paradigme lapsaire
Figurations de la chute
La religion et le doute
La conversion manquée de Lianne
Ekphrasis de la photographie de Richard Drew
La chute de l’ange : rédemption et transfiguration du profane
La chute selon le body performer
Distance, pastiche, transfert émotionnel
L’inspiration de David Janiak
Giorgio Morandi et l’apparaître phénoménologique
La composition abstraite
La réapparition des tours jumelles
L’art de la nature morte
Conclusion – Le paradoxe de la nature morte
Bibliographie
Autour de l'auteur
Florian Tréguer, agrégé d’anglais, est maître de conférences à l’université Rennes 2 où il enseigne la littérature et le cinéma américains. Il a écrit sa thèse sur les romans de Don DeLillo auxquels il a aussi consacré de nombreux articles.