Résumé
Autant, dans le premier volume, le cannibalisme africain a sans cesse paru répliquer aux aléas de la traite esclavagiste, autant, en Asie et en Océanie, c’est la diversité des expressions et des contextes qui s’impose en priorité à l’observation. Même parmi les peuples où des institutions admettent et réglementent son éventualité, la fréquence et les modalités pratiques de l’anthropophagie subissent des variations considérables au gré des circonstances écologiques et historiques. Elle s’oppose alors aux rituels de la chasse aux têtes qui tendent au contraire à se spécialiser et résistent davantage au changement : le cannibalisme se caractérise en contraste par sa plasticité.
Sporadique et conjoncturel dans des sociétés égalitaires où il participe à une retenue de la violence, on le voit devenir frénétique quand, par son truchement, le chef veut affirmer une suprématie sur des rivaux. Une limite toutefois : le maître qui accumule la consommation de ses congénères peut bien devenir divin, mais non souverain. Le monarque authentique, lui, fonde l’État en rejetant le comportement du fauve. Néanmoins, l’absence générale d’une rupture déclarée de la culture avec la nature engendre au XXe siècle quelques jaillissements inattendus de la prédation sur autrui (Seconde Guerre mondiale, Révolution culturelle, etc.) où le « civilisé » patenté mime un « sauvage » refoulé en lui.
Selon un vieux poncif, le cannibalisme révèlerait un manque de contrôle social, donc une inaptitude à garantir l’ordre. En réalité, chaque société pense à sa façon les excès et les restrictions : fureurs honorables, désordres excusables et transgressions intolérables. Parfois, le plus redoutable des mangeurs d’hommes ne fait qu’obéir à un mode de vie très contraignant.
Caractéristiques
Sommaire
Introduction : Le riz des analogues et l’igname des antipodes
Chapitre premier. — Le rôle de l’histoire dans la violence. Jalons démographiques
Hobbes et Rousseau : images d’Épinal pour une alternative hors de l’histoire
Révolutions et progressions
Densités de population aux moments des contacts avec les Européens
Une saturation démographique de la planète à l’échelle du millénaire
Innovations et satiétés
Quand la mort mue
Chapitre 2. — L’autre bout du vieux monde : civilisations millénaires et dérives modernes
Le Japon : dernière guerre et premiers cannibales
Impressions contraires en Extrême-Orient et parallèles avec l’Europe
Les îles à portée de jonque (Indonésie et Philippines)
Chapitre 3. — Sarcophages et ventripotences en Mélanésie
La Mélanésie, mosaïque schizophrène
L’étau démographique
Les ventres du pouvoir : Nouvelle-Calédonie et Fidji
La puissance comme gourmandise : Méduse devant sa psyché
Chapitre 4. — Le même réduit et l’autre dépareillé
Archipels polynésiens : une autre déclinaison du pouvoir
Élégances de la férocité : les Maoris
Corrélations et originalités polynésiennes
La nuée cannibale : la Nouvelle-Guinée
L’Australie, entre brouillards et fumées
Options révisables, spécialisations lourdes
conclusion : Contrôles insaisissables et infractions préconçues
Autour de l'auteur
octeur en biologie et en ethnologie, Georges Guille-Escuret est chercheur au CNRS (Centre Norbert Elias, Marseille). Il utilise sa double formation pour préciser méthodologiquement les relations nécessaires entre écologie et sciences sociales sur des démarcations troubles. Il a publié plusieurs essais, dont Les sociétés et leurs natures (Armand Colin, 1989), Le décalage humain : le fait social dans l’évolution (Kimé, 1994) et L’anthropologie, à quoi bon ? (L’Harmattan, 1996).