Résumé
L’abstention, la montée des votes protestataires ou le mouvement des Gilets jaunes constituent autant de symptômes d’une coupure entre les classes populaires et les partis. À partir d’immersions prolongées dans trois organisations (Rassemblement National, Union pour un Mouvement Populaire et Jeunes Communistes), Raphaël Challier interroge la façon dont les partis participent également à démobiliser les plus modestes. Les militants rencontrés sont le plus souvent ouvriers, employés, sans-emplois, précaires ou étudiants issus de ces milieux. Ils habitent en banlieue ou en milieu rural et s’impliquent dans les sections locales des partis. De réunions en congrès, de campagnes électorales en événements internes, ils se heurtent à des dispositifs élitistes, qui les empêchent d’accéder aux responsabilités : ils sont et resteront de « simples militants ». En observant leurs engagements, cette enquête éclaire leurs parcours, leurs doutes, leurs pratiques « de terrain » et leurs motivations. Les militants populaires se révèlent ainsi des témoins privilégiés des fractures grandissantes entre les citoyens et leurs représentants, les classes populaires et les classes aisées, « ceux d’en bas » et « ceux d’en haut ».
Caractéristiques
Sommaire
INTRODUCTION
Une étude par le bas des partis politiques
Une sociologie comparée de la politisation populaire
Une contribution à l’analyse des rapports de classes en milieu militant
Une ethnographie multisituée des militants subalternes
PREMIÈRE PARTIE
Des partis en milieu populaire
CHAPITRE 1. Des soutiens de l’UMP en banlieue parisienne
1. Militer à droite dans une banlieue de gauche
2. Des jeunes bourgeois qui veulent faire carrière en politique
Un rapport distancié à l’engagement
3. Les « vrais habitants de granin » : une petite élite autochtone
Alain, un petit patron « qui a réussi mais qui reste simple »
Un ethos populaire et viriliste ancré dans le pôle économique
Un rapport ambivalent aux immigrés et aux quartiers populaires
4. Fréquenter « les gens bien » pour conjurer les déclassements
Des classes populaires qui regardent vers le haut
Afficher une respectabilité à toute épreuve
5. Des engagements à droite forgés dans le conflit : les « Blancs conservateurs »
Les bons travailleurs contre la gauche
Enfermés en banlieue
CHAPITRE 2. Des militants frontistes en milieu rural
1. Militer FN dans une petite ville où « tout le monde se connaît »
2. Des classes moyennes en quête de notabilité
« On nous félicite pour notre gentillesse » : un positionnement municipal consensuel
3. Des ouvriers en quête de radicalité
Pascal, un ouvrier qui « respecte le travail »
Résister à la dédiabolisation ?
4. Des précaires en quête de respect
Lisa et Cindy, des candidates frontistes « qui galèrent »
CHAPITRE 3. Des « jeunes des quartiers » parmi les étudiants communistes
1. Le public populaire d’une université « critique »
2. Porter la parole des quartiers : les « leaders banlieusards »
Léonce, ou l’expérience des petites différences
Des passeurs entre les militants et les « jeunes des quartiers »
3. Apprivoiser l’université dans un entre-soi populaire : les « banlieusards »
Des adhésions sélectives aux normes des JC : le cas de Mélissa
Des socialisations politiques « ratées » : l’exemple de Youssouph
4. Des « enfants de militants » au contact de la jeunesse populaire
Une bonne volonté culturelle inversée ?
Parler politique sans en avoir l’air
5. Des « étrangers » entre aisance familiale et précarité contextuelle
Une bonne volonté culturelle plus traditionnelle
Sans-papiers ou gosse de riche ?
L’exclusion d’Omar
SECONDE PARTIE
Des témoins des fractures sociales et politiques
CHAPITRE 1. Des interprétations sélectives de la doctrine
1. Une distance générale aux enjeux théoriques
« Quand on connaît l’histoire du coin, on peut pas être pour les nazis » : des engagements frontistes ordinaires
« On fait avec les contradictions de notre milieu » : les pratiques de composition des Jeunes Communistes
« À droite, on ne fait pas d’idéologie » : l’évitement des débats abstraits par les adhérents de l’UMP
2. Des imaginaires partisans qui façonnent les représentations ordinaires
« Du côté des gens bien » : la conscience sociale légitimiste
« Au-dessus, ils nous baisent » : la conscience protestataire
Le FN, un parti « social » ? La conscience triangulaire
3. Des lectures du programme filtrées par les antagonismes du quotidien
Se distinguer des « gauchistes » pour défendre un style populaire
Les « étrangers » des frontistes
La xénophobie concurrentielle des soutiens précaires
L’ethnocentrisme sélectif des militants ouvriers
Des adhérents FN qui « font la part des choses »
Le double discours des cadres « respectables »
Le conservatisme pratique des militants de l’UMP
La gauche sociale contre le mérite
Critiquer la bohème plus que les bourgeois
CHAPITRE 2. Des organisations élitistes
1. L’UEC Vigny, du rendez-vous réussi au rendez-vous manqué
Ne pas se sentir à sa place dans les congrès
Des militants JC « qui ne font pas de politique » ?
2. Le FN, un parti comme les autres ?
Des candidats frontistes qui « présentent plus ou moins bien »
L’épuisement des cadres locaux
3. « À l’UMP, chacun reste à sa place »
Un ordre partisan naturalisé
Extrémisme populaire et anticonformisme bourgeois ?
CONCLUSION. Comment démobiliser les classes populaires
Des pratiques militantes qui excluent les moins dotés
Un rapport populaire au militantisme qui reflète des séparations culturelles
Des formes de sélection sociale qui varient selon les partis
Épilogue
Annexe méthodologique
Autour de l'auteur
Raphaël Challier est docteur en sociologie et membre du Cresppa-Gtm. Il a notamment coordonné le numéro « En bas à droite » de la revue Politix, et publié plusieurs articles sur le militantisme, les classes populaires rurales et urbaines et les Gilets jaunes.