Résumé
Sur le chemin de la création de la psychanalyse, Sigmund Freud eut des échanges avec des interlocuteurs parfois inattendus, tel Romain Rolland avec qui il entretint de 1923 à 1936 une correspondance espacée mais dense. Différents par leur tempérament, leurs attaches culturelles et la nature de leur œuvre, Freud et Rolland eurent cependant des convergences avérées ou secrètes qui tiennent à leur fibre de héros romantiques – s’exprimant dans la « vénération » idéalisée qu’ils se portaient l’un à l’autre – et à leur ascendance spinozienne.
Freud, « juif sans dieu », s’identifie au philosophe d’Amsterdam comme « frère d’incroyance » et trouve un espace de dialogue avec Rolland, chrétien sans Eglise mû par « l’éclair de Spinoza », pour critiquer les dogmes religieux et les Eglises, ce dont on perçoit les échos de L’avenir d’une illusion au Malaise dans la culture. Mais il se range du côté de l’athéisme intransigeant de Kant et de Feuerbach tandis que Rolland laisse une place à la mystique et, reprochant à son correspondant d’avoir négligé le sentiment religieux comme fait personnel, propose la sensation océanique à la réflexion métapsychologique de Freud qui, intrigué et d’abord réticent, reconnaîtra par la suite la vérité historique de la religion.
L’auto-analyse qui accompagne ces échanges renoue avec celle du temps de Fliess et trouve son aboutissement explicite dans Un trouble du souvenir sur l’Acropole, lettre ouverte au Français pour son soixante-dixième anniversaire, qui prélude à une ultime poussée créatrice de l’œuvre freudienne.
Freud admirait en Romain Rolland l’intellectuel engagé qui défendait les valeurs de la civilisation en dénonçant l’absurdité de la guerre de 1914-1918 et en s’opposant à Hitler comme leader antifasciste. Mais il était plus lucide sur les illusions idéologiques que Rolland qui, dans sa période de soutien non critique à l’URSS, oubliera sa dénonciation du totalitarisme stalinien et s’éloignera momentanément de Freud, confirmant ainsi les ambivalences et les impasses de ce passionnant dialogue, qui, dans un après-coup, éclaire l’œuvre entière.
Caractéristiques
Sommaire
Abréviations, V
Remerciements, IX
Préface, par André Bourguignon, XI
Introduction, 1
PREMIÈRE PARTIE. Sigmund Freud et Romain Rolland : résonances et dissonances des hommes et des œuvres
1 La vie et l'œuvre de Freud, 9
Portrait, par Ludwig Binswanger, Joan Riviere et Stefan Zweig, 9
L'enfance et les années de formation, 14
Les premières années à Freiberg, 14
Vienne et les études secondaires, 18
Les études médicales, 22
Le voyage à Paris, 25
La modernité viennoise, creuset de la création psychanalytique, 26
Vienne, "fin de siècle" et modernité, 26
De la politique viennoise à la création de la psychanalyse, 27
L'idéologie pangermaniste à Vienne au temps de la jeunesse de Freud, 29
Freud, du "wagnérisme" à la psychanalyse, 31
Passagèreté viennoise et crise du langage, 34
Le questionnement du moi et de la sexualité à Vienne, 35
L'œuvre de Freud, 37
De Breuer à Fliess, 38
Les premières œuvres de Freud, 39
Identité et culture freudiennes, 40
2 La vie et l'œuvre de Romain Rolland, 44
Portrait par Pierre Jean Jouve et Stefan Zweig, 44
De l'enfance aux années de formation, 47
De Clamecy à Paris, 47
Shakespeare, Victor Hugo et Tolstoï, 49
De "l'éclair de Spinoza" au "trouble du souvenir sur l'Acropole", 53
Le séjour à Rome et les débuts à Paris, 56
Rolland, la maladie et la mort, 58
Paris 1900, 61
Romain Rolland et l'affaire Dreyfus, 63
L'œuvre de Romain Rolland, 69
Le romancier, 70
Le dramaturge, 77
Le musicien et le musicologue, 79
Le biographe, 80
L'essayiste et le polémiste, 82
L'écrivain intimiste, 83
3 Les enjeux du dialogue Freud-Rolland, 85
Culture allemande, culture française et universalité, 85
Goethe, Freud et Rolland, 87
Deux héros romantiques, 92
Le Moïse de Michel-Ange entre Freud et Rolland, 97
Dompter les pulsions, 99
Un juif athée et un chrétien sans Eglise, 102
Romain Rolland et les juifs, 103
Rolland et le mythe aryen, 107
Spinoza entre Rolland et Freud, 112
Deux écrivains, 115
Romain Rolland épistolier, 116
Freud, sa correspondance et ses correspondants, 117
Les enjeux de la correspondance Sigmund Freud - Romain Rolland, 121
DEUXIÈME PARTIE. Prélude à la rencontre Freud-Rolland
4 Freud, Rolland et la première guerre mondiale, 125
Romain Rolland et l'Allemagne avant 1914, 126
Le choc de la déclaration de guerre, 128
Êtes-vous les petits-fils de Goethe ou ceux d'Attila ?, 130
Au-dessus de la mêlée, 132
"Un rude tournant de pensée", 134
La lettre de Rolland à F. van Eeden (24 janvier 1915), publiée une semaine après celle de Freud, 136
Rolland, conscience de l'Europe, 138
L'indépendance de l'esprit, 140
De la guerre au panhumanisme et au gandhisme, 141
La grande illusion, 143
La grande désillusion, 147
La lettre de S. Freud à F. van Eeden (28 décembre 1914), 152
Freud, sur la guerre et la mort, 154
La guerre et le désir de mort des fils, 156
La Prusse et Goethe dans "Passagèreté" (1915), 158
La conversation avec Rainer Maria Rilke et Lou Andreas-Salomé (septembre 1913) dans "Passagèreté", 161
Rainer Maria Rilke, narcisse endeuillé, 163
Le narcissisme entre S. Freud et Lou Andreas-Salomé, 169
L'éphémère et l' "Éternel retour" de Nietzsche, 171
5 Interlocuteurs et intermédiaires, 176
Les interlocuteurs de Rolland sur la psychanalyse, 176
"Je connais de bien remarquables freudiens", 176
Jean-Richard Bloch et R. Morichau-Beauchant, 180
Un in
Autour de l'auteur
Henri Vermorel et Madeleine Vermorel, anciens psychiatres des hôpitaux, chargés de cours de psychopathologie à l’université de Savoie, sont psychanalystes à Chambéry. Ils ont publié, ensemble ou séparément, des travaux sur la clinique et la théorie de la psychanalyse, ses rapports avec la culture et son histoire. Ils sont membres de la Société psychanalytique de Paris et de l’Association internationale d’histoire de la psychanalyse.