Résumé
La pensée féministe s’est historiquement attachée, depuis — voire en dehors de — la tradition matérialiste, à montrer que le rapport de classe n’épuise pas l’expérience de la domination vécue par les femmes et, plus généralement, par les minorités sexuelles. Plus encore, en élaborant des outils d’analyse tels que le « mode de production domestique », les « rapports sociaux de sexe » ou le « rapport de genre », la pensée féministe a travaillé sur l’imbrication des rapports de pouvoir, dénaturalisant la catégorie de « sexe » à l’aune de ses déterminations historico-sociales.
Depuis quelques années en France, la réflexion sur l’imbrication des rapports de pouvoir s’est complexifiée davantage, notamment sous l’influence des travaux nord et sud-américains, mais aussi caribéens ou indiens. Les problématiques relatives aux identités sexuelles, aux régimes de sexualité, mais aussi celles articulant le genre et la nation, la religion et/ou la couleur, ont permis de développer un véritable champ de réflexion. La question cruciale de l’articulation du sexisme et du racisme, notamment, a ainsi renouvelé tout autant l’agenda des mouvements féministes que la recherche universitaire.
Cet ouvrage a pour but d’interroger les différents outils critiques pour penser l’articulation des rapports de pouvoir. Tout en interrogeant leur mode propre de catégorisation (les catégories de « sexe » et de « race » ont-elles méthodologiquement le même statut que la classe ? À quelles conditions utiliser la catégorie de « race » comme une catégorie d’analyse ? L’analyse en termes de classe a-t-elle été éclipsée par l’analyse croisée du sexisme et du racisme, après les avoir longtemps occultés ?...) cet ouvrage discute les différents modes de conceptualisation de ce que l’on pourrait appeler « l’hydre de la domination » : analogique, arithmétique, géométrique, généalogique.
À partir de différentes traditions disciplinaires (sociologie, science politique, philosophie, psychologie, littérature…), les contributions ici réunies présentent un état des lieux des diverses appréhensions de l’imbrication des rapports de pouvoir — « intersectionnalité », « consubstantialité », « mondialité », « postcolonialité », … et, ce faisant, (re)dessinent les contours d’une véritable épistémologie de la domination.
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Caractéristiques
Sommaire
Introduction
Vers une épistémologie des résistances, par Elsa Dorlin
I. Division sexuelle et raciale du travail
De la servitude au travail de service : les continuités historiques de la division raciale du travail reproductif payé, par Evelyn Nakano Glenn
La règle du jeu. Repenser la co-formation des rapports sociaux de sexe, de classe et de « race » dans la mondialisation néolibérale, par Jules Falquet
Clivages ethniques, domination économique et rapports sociaux de sexe. Le cas des Chinois de Paris, par Marylène Lieber
II. L'intersectionnalité en débat
Dynamique et consubstantialité des rapports sociaux, par Danièle Kergoat
Différences, pouvoir, capital. Réflexions critiques sur l’intersectionnalité, par Patricia Purtschert et Katrin Meyer
III. Féminisme et orientalisme
Sous le regard de l’Occident : recherche féministe et discours colonial, par Chandra Talpade Mohanty
Sexe, race et colonialité. Point de vue d’une épistémologie postcoloniale latino-américaine féministe, par Sabine Masson
Antigone, le foulard et la République, par Sarah Bracke
IV. Généalogie de la « blanchité »
« Gare au Juif ! » : Le Gorille d’Oscar Méténier, portrait du Sémite enleveur de femmes, par Sarah Al-Matary
Autre chose qu’un désir de peau… Le Nègre, la Blanche et le Blanc dans deux romans de Dany Laferrière, par Pascale Molinier
Les défis des Critical Whiteness Studies, par Ina Kerner
V. Violence du pouvoir et pouvoir de la violence
Différences locales, générationnelles et biographiques dans les identités masculines en Colombie, par Mara Viveros
Les frontières de la violence sexuelle, par Eric Fassin
Autour de l'auteur
Elsa Dorlin est maître de conférences, UFR de philosophie, Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle est également l'auteur de Sexe, genre et sexualités (PUF, « Philosophies », 2008).