
Résumé
Souvent abordée par sa « micropolitique du désir », l’œuvre commune de Deleuze et Guattari est rarement sollicitée lorsqu’on s’interroge sur les problèmes classiques ou contemporains de la pensée politique : la forme-État, la souveraineté, le rapport de la violence et du droit, la guerre, le paradigme de la Nation et les re-combinaisons qu’il a entraînées entre les idées de peuple, de citoyenneté et de minorité. En suivant la trajectoire conduisant du premier tome de Capitalisme et schizophrénie (1972) au second (1980), ce sont pourtant tous ces problèmes qui se trouvent réélaborés, au fil d’une conjoncture de transition historique marquée par la fin des guerres de décolonisation, la transformation du capitalisme mondial, les recompositions aussi profondes qu’incertaines des forces de résistance collective.
Encore faut-il, pour mesurer les prises de la pensée guattaro-deleuzienne sur les bouleversements de son temps, la confronter à ce qui fut son interlocuteur principal, le marxisme, à son champ épistémique (le matérialisme historique), à son programme critique (la critique de l’économie politique) et à sa grammaire politique (la lutte des classes). De ces pourparlers, trois hypothèses nouvelles se dégagent : celle d’un « Urstaat », incarnant un excès de la violence souveraine sur l’appareil d’État et sur ses investissements politiques ; celle d’une puissance de « machine de guerre », que les États ne peuvent jamais s’approprier que partiellement, et à laquelle ils peuvent eux-mêmes se subordonner ; celle d’un excès du « destructivisme » de l’accumulation capitaliste sur son organisation productive.
Dans ce triple excès, la pensée politique de Deleuze et Guattari trahit le spectre de l’entre-deux-guerres qui la hante, mais qui la fait aussi communiquer avec les penseurs actuels de l’impolitique. S’y donnent à lire non seulement une nouvelle théorie politique, mais aussi un tableau de la pluralité des voies d’ascension à l’extrême-violence susceptibles de détruire la politique même et auxquelles les luttes contemporaines ne peu-vent s’épargner de faire face.
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Caractéristiques
Sommaire
Chapitre 1. Matérialisme historique et schizo-analyse de la forme-État
Apories dans l’origine de l’État : impossible genèse et commencement introuvable
Le mouvement d’auto-présupposition de l’Urstaat : l’historicité antinomique de la forme-État
Ni concept ni appareil : la forme-État comme fantasme originaire et comme délire de l’Idée
Chapitre 2. La capture : pour un concept d’accumulation primitive de la puissance d’État
Capture étatique et analyse des formations sociales : les concepts fondamentaux du matérialisme historico-machinique
Retour sur la question des « sociétés sans État » : anticipation-conjuration et forme-Stock
Capture et souveraineté : économie et anéconomie étatiques de la violence
Deuxième partie – Exo-violence : l’Hypothèse de la machine de guerre
Chapitre 3. Nomadologie : Vers l’hypothèse de Machine de guerre
Le nomadisme et sa « machine » : nomos de la terre et territorialisation d’État
Le nomos nomadique : thèse anti-hégélienne ou hypothèse néo-schmittienne ?
Processus machiniques et logiques spatiales
Chapitre 4. La Formule et l’Hypothèse : Appropriation étatique et généalogie de la puissance de guerre
Clausewitz, ou la Formule : histoire et présupposés de la rationalité instrumentale de la guerre
Exposition systématique de l’Hypothèse
Situation actuelle et illimitation de la violence : inversion de la Formule ou réversion de l’Hypothèse
Clausewitz, Lénine, Schmitt, Foucault, Deleuze-Guattari : fictions dialogiques.
Troisième partie – Endo-violence : l’Axiomatique capitaliste
Chapitre 5. L’axiomatique du capital : États et accumulation à l’échelle mondiale
L’illimitation capitaliste : code, décodage, axiomatique
La subsomption capitaliste mondiale : englobement œcuménique et typologie des États contemporains
Isomorphie et hétérogénéité des États capitalistes – L’offensive néolibérale à l’échelle mondiale
Polymorphie, néoimpérialisme et colonisation intérieure
Chapitre 6. Devenir-minoritaire, devenir-révolutionnaire
Macro-politique et micro-politique : division dans la stratégie minoritaire
Minorisation et prolétarisation dans l’axiomatique capitaliste contemporaine : la gouvernementalité sociale-libérale
Autonomie et universalité dans les luttes minoritaires : blocs d’alliance et devenirs-révolutionnaire
Conclusion : La micropolitique n’a pas eu lieu
Autour de l'auteur
Guillaume Sibertin-Blanc est maître de conférences en philosophie contemporaine à l’université Toulouse 2 – Le Mirail. Membre de la revue Actuel Marx, il est l’auteur de Philosophie politique XIXe-XXe siècles (Puf, 2009) ; Deleuze et l’Anti-Oedipe. La production du désir (PUF, 2011), et a publié récemment Deleuze et la violence (EuroPhilosophie, 2012).