Résumé
De quels types de connaissance morale la littérature est-elle porteuse ? La littérature ne laisse-t-elle pas entrevoir, à sa manière, certaines lacunes des systèmes philosophiques, leurs lieux de fragilité ou d’indétermination, dès lors qu’il s’agit de rendre compte des multiples dimensions de l’expérience morale, ainsi que des conditions et des modalités de la « vie bonne » ? Autant d’interrogations que la théorie littéraire des années « structuralistes » a eu tendance à laisser de côté. Or, les exemples sollicités en pareil débat, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis (par les divers représentants de l’ethical theory), prennent généralement appui sur un genre dominant (le roman) et sur une période (celle des figures de la « modernité » propres aux XIXe et XXe siècles).
L’enquête collective du présent volume s’inscrit dans le cadre d’un programme de recherche visant à réévaluer dans la longue durée l’apport de l’ensemble des genres littéraires, de leurs relations différentielles et de leurs évolutions successives, ressaisis comme autant d’éléments importants pour l’histoire de la pensée morale. La question, dès lors, n’est pas seulement : qu’est-ce donc que les genres doivent à la morale ? mais aussi et surtout : qu’est-ce donc que la pensée morale doit aux genres eux-mêmes, qui lui permettent de s’énoncer, de se représenter, de s’incarner, de se dramatiser, de se mettre en récit et en intrigue ? On a essayé ici de mieux prendre la mesure de l’étonnante puissance de variation que l’expérimentation sur les genres littéraires a permis de déployer dans l’histoire de la pensée morale, de Montaigne à Sartre et Genet en passant par Bruno, Pascal, Nicole, La Fontaine ou Flaubert.
Caractéristiques
Sommaire
Avant-propos
I. Montaigne : Essais de morale ou morales de l’essai ?, par Philippe Desan
II. La morale de la farce : sur Le Chandelier de Giordano Bruno, par Yves Hersant
III. Le moraliste et la « moraline » : rhétoriques de la fable et expériences de pensée de Jean de La Fontaine à Frédéric Nietzsche, par Jean-Charles Darmon
IV. Éthique et polémique en christianisme : le cas des Provinciales, par Gérard Ferreyrolles
V. Anthropologie, morale et rhétorique : l’essai de morale selon Pierre Nicole, par Béatrice Guion
VI. Fiction et morale au XVIIe siècle : la recherche d’un bon usage du roman, par Camille Esmein-Sarrazin
VII. Le problème de l’apraxia sceptique au début du XVIIIe siècle. Crousaz et Hume, par Gianni Paganini
VIII. « Outrage à la morale publique » et aux « bonnes mœurs » ! Gustave Flaubert et la « morale de l’Art », par Florence Vatan
IX. L’observatoire des mœurs. Les coutumes et les caractères entre littérature et morale, par Barbara Carnevali
X. Être ses propres possibles : lecture et imagination morale chez Sartre, par Marielle Macé
XI. « Il sera poète parce qu’il est méchant ». Expérience morale et création littéraire chez Jean Genet, par Maël Renouard
Autour de l'auteur
Jean-Charles Darmon, professeur de littérature française à l’Université de Versailles, est directeur-adjoint de l’École normale supérieure de Paris. Parmi ses ouvrages : Philosophie épicurienne et littérature au XVIIe siècle en France (Puf) ; Philosophies de la fable : La Fontaine et la crise du lyrisme (Puf) ; Le Songe libertin. Cyrano de Bergerac d’un monde à l’autre (Klinksieck) ; L’Athée, la politique et la mort (Encre marine) ; et, tout dernièrement, Philosophies du divertissement. Le jardin imparfait des Modernes (Desjonquères).
Philippe Desan est professeur à l’Université de Chicago où il est titulaire d’une chaire dans le département de littérature romane et au comité d’Histoire de la culture. Il est notamment l’auteur de Penser l’histoire à la Renaissance (1993), Montaigne dans tous ses états (2001), il a aussi dirigé le Dictionnaire de Michel de Montaigne (2004, 2007) et édité l’Exemplaire de Bordeaux des Essais (2002) ainsi que les Essais de 1582 (2005). Il dirige la revue Montaigne Studies.