Résumé
Soucieux d’enrayer la mainmise du pouvoir biotechnologique sur le vivant humain, le législateur a institué depuis 1994 la protection de l’espèce humaine. Au fil des lois successives de bioéthique, l’espèce humaine est devenue l’une des valeurs les mieux protégées du droit français, justifiant les sanctions pénales les plus sévères et les interdictions les plus absolues. Fait troublant, assurément, quand on sait que la notion d’espèce humaine n’a de consistance, ni juridique, ni biologique. Faut-il dès lors penser que sa protection garantie par le droit relève du pur arbitraire politique ? Et que penser par ailleurs d’un système juridique qui s’appuie sur des données faussées de la biologie pour définir ses valeurs ?
L’examen attentif de l’idée d’espèce humaine, tout empreinte de moralisation désordonnée, suggère ainsi que le droit qui lui donne la primauté, au détriment de l’individu et au mépris de la personne, n’est pas tout à fait un droit. Cherchant avant tout à vérifier la conformité biologique des individus à l’étalon normatif de l’espèce, il s’agirait plutôt d’un contrôleur de pedigree. Obsédées par la constitution génétique et biologique, les dispositions relatives à la bioéthique sèment le trouble dans les fondements mêmes du droit, remettant en cause la notion de sujet de droit et s’apprêtant à exclure de l’humanité les individus conscients dont la naissance ne répondra pas aux critères de naturalité imposés par le sacre de l’espèce humaine.
Il est donc urgent de repenser les fondements de la bioéthique et de redonner au droit toute sa force en tentant de lui indiquer ce qu’il s’apprête à oublier : le fait de la naissance.
Caractéristiques
Sommaire
Liminaire. — Ubi Natura ibi jus
LIVRE I. — L'IMMIXTION DE L'ESPÈCE DANS LE DROIT
I. Surveiller
Une nouvelle valeur juridiquement protégée
Quelle(s) espèce(s) ?
Un concept juridico-biologique ?
II. Punir
La naissance d'un crime
Les déboires d'une incrimination
Préjudices et victimes : du crime d'être né
III. Anticiper
LIVRE II. — L'ÉTHIQUE DE L'ESPÈCE HUMAINE
IV. Naturaliser l'éthique, moraliser la nature
Habermas et la mort de l'éthique communicationnelle
L'abolition du sujet moral
Hypostases de la bioéthique
V. La dignité de la personne humaine
La dignité à l'ère des biotechnologies
Qui est la personne humaine ?
Sous la personne humaine, l'espèce
VI. Principes de la philosophie du droit de la bioéthique
De la « vérité biologique » (en famille)
Droit et/ou morale
Droit naturel vs droit de la nature
LIVRE III. — POUR UNE PHILOSOPHIE DE LA NAISSANCE
VII. L'oubli de la naissance
Les déplacements du regard
La naissance comme terme de la gestation
Le paradigme du nouveau-né chez Jonas
VIII. Vers une solution criticiste
« Morality for strangers »
Kant et la bioéthique
L'espèce humaine : un problème kantien
IX. Contribution à une philosophie juridique de la naissance
Le système du droit
La figure du nouveau-né au cœur de la philosophie du droit
Épilogue. — Le nouveau-né : un objet philosophique ?
Bibliographie
Index des noms
Autour de l'auteur
Philippe Descamps, docteur en philosophie, spécialiste de bioéthique et de philosophie du droit, poursuit actuellement ses recherches au Centre de Recherche Sens, Éthique et Société (CNRS, UMR 8137). Dernier ouvrage paru : L'utérus, la technique et l'amour, PUF, « Intervention philosophique », 2008.