
Résumé
Jamais mot n’aura si mal désigné une chose : si le terme « législateur » suggère l’image d’une assemblée lancée dans des délibérations houleuses, si le mot « juge » fait également naître tout un imaginaire d’où se détache l’homme qui rend une sentence, l’expression « pouvoir exécutif » peine à caractériser ces présidents, Premiers ministres et autres chanceliers que l’opinion commune rattache davantage à l’image de chefs qu’à celle de simples exécutants. C’est à la compréhension et à la résolution de ce paradoxe qu’est consacré cet ouvrage, qui entend éprouver le mythe de la séparation des pouvoirs en le confrontant aux multiples activités exercées de nos jours par nos « exécutifs ». Une telle représentation plonge ses racines dans l’analyse des fonctions juridiques de l’État, telle qu’elle a été développée à partir du XVIIe siècle, mais qui est restée peu exploitée. Il en est résulté une vulgate philosophico-juridique établissant trois fonctions – législative, juridictionnelle, administrative – qui ne cadrent guère avec la diversité des activités de l’État. La fonction « administrative » ou « exécutive », singulièrement, a été conçue d’un point de vue organique comme une catégorie résiduelle embrassant l’ensemble des actes juridiques et matériels de cet organe que l’on ne saurait nommer « exécutif » qu’avec la prudence des guillemets.
Pour dépasser ce paradoxe, cet ouvrage se propose d’offrir une méthode réaliste permettant de construire une typologie complète des fonctions, distinguant les nombreuses manières d’édicter un acte juridique ou de commettre un acte matériel, afin d’identifier, par ce qu’il fait, ce qu’est un exécutif. Or, l’application de cette méthode conduit à une aporie, car l’exécutif exerce ou participe peu ou prou à l’intégralité des activités de l’État, si bien que la fonction ne semble pas un outil pertinent pour saisir son essence : s’il fait tout, c’est qu’il est d’abord le pouvoir « exécutoire » de l’État, une puissance toujours sur pied, une force toujours en action, qui sert d’instrument au procès d’individuation et de concrétisation des règles générales aux cas particuliers. Mais la force ne saurait expliquer, à elle seule, sa participation à l’ensemble des fonctions étatiques. S’il est censé tout faire, c’est que l’exécutif est encore regardé comme une puissance décisionnelle montrant le chemin, fixant des caps, orientant les comportements. Réputé suggérer la fin la meilleure et les moyens les plus adaptés pour y parvenir, plébiscité par les citoyens à l’occasion des élections, l’exécutif n’est donc pas seulement un pouvoir, il est aussi, au sens où l’entendaient les Romains, une autorité. Par-delà l’Ancien Régime, l’exécutif est cette survivance finaliste de l’autorité politique dans un monde fonctionnel où la possibilité même de l’auctoritas est désormais compromise.
Caractéristiques
Sommaire
Table des matières
Liste des abréviations, V
Introduction
LE DISCOURS D'UNE MÉTHODE
Section 1 – L'invention d'un mythe : la théorie des trois pouvoirs
La formation d'une vulgate légicentriste au siècle des Lumières
La confusion organique du XIXe siècle français
La vulgate ressaisie par l'analyse matérielle de la doctrine allemande
La réception et le déclin de la doctrine des fonctions en France
Les lacunes des méthodes fondées sur les actes
Section 2 – Une théorie renouvelée fondée sur les manières d'agir des organes étatiques
Le nécessaire changement de paradigme
Les variables liées à l'opération juridique
Les variables liées aux parties à l'acte
Les variables liées au sens de l'énoncé
Les variables liées à l'objet de l'acte
La hiérarchisation des critères
PREMIÈRE PARTIE – LES ACTIVITÉS DE L'EXÉCUTIF PAR-DELÀ L'EXÉCUTION ET L'ADMINISTRATION
TITRE I – L'EXERCICE DES FONCTIONS INTERNES
Chapitre 1 – Arbitrage et administration : les fonctions de l'Exécutif dans la « sphère publique »
Section 1 – Les fonctions d'arbitrage exercées sur les pouvoirs publics
L'injonction procédant par commandement : la convocation et la dissolution
L'authentification procédant par perfection : la promulgation et la publication
L'influence procédant par déclaration : le droit de message
Section 2 – Les fonctions d'administration exercées sur les agents publics
La direction et l'orientation de l'action publique procédant par commandement
La gestion du corps des agents publics procédant par attribution de situation juridique
Chapitre 2 – Législation et application : les fonctions de l'Exécutif à l'égard des administrés
Section 1 – Les fonctions de législation procédant de manière impersonnelle
La distinction entre l'autonomie et la subordination en matière législative
Les fonctions primaires procédant de manière autonome : la participation à la loi formelle
Les fonctions secondaires procédant de manière subordonnée : le pouvoir réglementaire
Section 2 – Les fonctions d'application procédant de manière personnelle ou a‑personnelle
L'identité matérielle entre les fonctions d'individuation et la fonction juridictionnelle
Les fonctions juridiques d'individuation : la réduction au cas individuel
Les fonctions matérielles d'individuation : l'autorité, la contrainte et la prestation
TITRE II – L'EXERCICE DES FONCTIONS DIPLOMATIQUES
Chapitre 1 – Octroi, contrainte et déclaration : les fonctions de souveraineté procédant unilatéralement
Section 1 – Les fonctions d'octroi procédant par création de droits
L'octroi hétéro-normateur : la renonciation
L'octroi auto-normateur : la promesse
Section 2 – Les fonctions de contrainte imposant une obligation
La contrainte tendant à imposer une obligation : la protestation
La contrainte exécutant une obligation : les opérations militaires
Section 3 – Les fonctions déclaratoires attributives de situation juridique
Les apories de la distinction déclaratif-constitutif
L'exercice de fonctions déclaratoires matérielles : la reconnaissance
L'exercice de fonctions déclaratoires juridiques : la déclaration de guerre
Chapitre 2 – Législation interétatique et partenariat : les fonctions de coopération procédant plurilatéralement
Section 1 – Les fonctions internationales de législation procédant par union
L'identification des énoncés généraux et impersonnels d'effet direct
L'encadrement de l'exercice des fonctions de législation par la participation du législateur
Section 2 – Les fonctions internationales de partenariat procédant par simple accord
L'apparition des fonctions de partenariat dans le silence de la Constitution
La porosité de la distinction des fonctions et le rôle du juge
SECONDE PARTIE – LA NATURE DE L'EXÉCUTIF ENTRE PUISSANCE ET AUTORITÉ
TITRE I – L'IDENTIFICATION D'UN NÉCESSAIRE POUVOIR EXÉCUTOIRE
Chapitre 1 – L'instrument du procès d'individuation et de concrétisation
Section 1 – Une puissance juridique « toujours sur pied »
La conception unitaire d'un Exécutif uno solo
Le devoir d'agir et l'impossible déni d'exécution
La reconnaissance de pouvoirs d'exécution praeter legem
Section 2 – Une puissance matérielle détentrice du monopole de la force
L'usage de l'épée et la puissance de contrainte
Le développement de l'État-providence et la puissance de service
Les moyens de la puissance matérielle
Chapitre 2 – La puissance décisionnelle de l'État
Section 1 – Le maître de l'exécution exceptionnelle
Un prince délié des lois : le pouvoir d'agir en vue du bien public
La constitutionnalisation du prince : les prérogatives de l'Exécutif
La reconnaissance des pouvoirs de circonstances
Section 2 – La puissance de l'État sous contrôle
L'uniformisation et la domination progressive des Exécutifs
La « pente naturelle » de l'Exécutif et la question de la souveraineté
Les techniques limitant la puissance de l'État : une doctrine des contrepouvoirs
TITRE II – UNE AUTORITÉ POLITIQUE FRAGILISÉE
Chapitre 1 – La « reconnaissance » de l'Exécutif comme autorité légitime
Section 1 – L'auctoritas comme supplément d'âme du pouvoir
De l'auctoritas des patres à celle du roi : l'assise transcendantale du pouvoir
La crise de légitimation à l'époque moderne
La soumission du gouvernement et la mutation de l'autorité
Section 2 – L'Exécutif comme autorité d'institution
L'identification d'une autorité dans l'État
Les fondements du processus de reconnaissance
La nécessaire autorité unique de l'Exécutif : incarnation et leadership
Chapitre 2 – La crise de l'autorité de l'Exécutif
Section 1 – La soumission de la volonté particulière de l'Exécutif
L'autonomie de la volonté et la crise de l'obéissance civile
La Réforme, le rejet du principe hiérarchique et le conflit des interprétations
Le dépassement de l'antinomie politique par la volonté générale
La résolution du conflit et la réintégration de l'hétéronomie dans l'autonomie
Section 2 – L'ère du soupçon et l'irréductible volonté particulière de l'Exécutif
La crise de l'exécution : le doute relatif à l'interprétation du texte
La crise de l'intérêt général : le doute relatif à l'interprétation des fins
L'autorité fragilisée d'un État polyarchique
Conclusion – Deux anthropologies. Deux Exécutifs
Bibliographie
Index nominum
Index rerum
Autour de l'auteur
Benoît Montay est maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas.