Résumé
Une « religion purement intellectuelle », nous dit Pascal, serait certes capable de satisfaire des esprits éclairés, « mais elle ne servirait pas au peuple ». Si certains intellectuels ont réussi pourtant à se reconnaître dans les grandes religions universelles comme le judaïsme ou le christianisme, religions qui étaient loin d’être « purement » intellectuelles, c’est d’abord parce qu’ils détenaient les moyens de réinterpréter le message religieux en fonction de leurs propres besoins. La philosophie, en particulier, leur a permis de concilier de très nombreuses attentes au sein de leur confession, celles de croyants profanes et celles de croyants lettrés, et même, hors de leur confession, celles de lettrés croyants, voire non croyants.
Les études de cas présentées ici réunissent trois figures : Emmanuel Levinas (le plus longuement abordé), Hermann Cohen et Jules Lachelier, qui ont en commun une posture antimystique. Pour eux, le contact avec l’Absolu ne passe pas par les voies de l’affect mais par celles de l’abstraction, de l’esprit, de l’étude, de l’effort sur soi-même. C’est sans doute ce qui procure une allure universelle à leur message, indissociablement philosophique et religieux.
Fondé sur des études précises, cet ouvrage se propose, loin des débats du jour sur le retour du religieux ou l’avenir des religions, d’apporter une contribution sociologique à la connaissance des formes de religiosité des intellectuels.
Caractéristiques
Sommaire
Introduction
Première partie. — Emmanuel Levinas, autrement
Chapitre premier. Une théorie de la patience
Une double vie spirituelle
Le sens de l’orientation
Avec, contre, après Heidegger
Un renversement des valeurs
La religiosité intellectualiste de salut
Une reconnaissance tardive
Chapitre II. Religions de l’autre
Un double marquage
La philosophie politique du dialogue
La circulation interreligieuse des idées
Des hospitalités réciproques
Chapitre III. Difficile identité
L’identité juive dans les classements intellectuels
Avant/après l’Occident
La religion de l’interprétation
Conclusion
Deuxième partie. — Hermann Cohen et la dénégation de l’origine
« Théorie de la connaissance » et psychologie
La Völkerpsychologie
Le point de vue génético-anthropologique en philosophie
Le tournant transcendantal
La redéfinition de l’origine
Le « point de vue de l’Idéal »
Science de l'éthique et « science de la société »
Troisième partie. — Le Dieu de Jules Lachelier et la sociologie durkheimienne
Deux discours sur la religion
La solitude et le groupe
La sociologie et la religion des « âmes raffinées »
Conclusion
Autour de l'auteur
Louis Pinto, directeur de recherche au CNRS (sociologie), est membre du Centre de sociologie européenne et enseigne à l’EHESS. Plusieurs de ses travaux ont porté sur des philosophes : Les Neveux de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France (Seuil, 1995), La Vocation et le métier de philosophe. Pour une sociologie de la philosophie dans la France contemporaine (Seuil, « Liber », 2007) et La Théorie souveraine. Les philosophes français et la sociologie au XXe siècle (Le Cerf, « Passages », 2009). Il a également abordé d’autres domaines comme la culture, les intellectuels, l’histoire des sciences sociales, l’enseignement, la presse, la consommation.