Résumé
En Angleterre, la Renaissance coïncida avec cette période de profonds bouleversements intellectuels que les historiens ont parfois décrite comme une véritable « révolution scientifique ». L’époque de Shakespeare (1564-1616) et de Marlowe (1564-1593) fut donc aussi celle des premiers grands hommes de science anglais, de John Dee à William Harvey en passant par Thomas Harriot, ce génie universel qui fut à la fois mathématicien et ethnographe, et écrivit le premier traité scientifique anglais sur la « Virginie » et ses habitants.
Nulle surprise, donc, à ce que le savant fasse son entrée sur la scène anglaise de la Renaissance, notamment sous les traits du docteur Faust dans la pièce de Marlowe, puis sous ceux de Prospéro dans La Tempête de Shakespeare. Malgré les indéniables succès dont la communauté scientifique peut alors se prévaloir, l’image populaire du savant reste pourtant hantée par de tenaces préjugés : parce qu’il passe sa vie à contempler les idées, à lire et à étudier, voire à trafiquer avec le Diable, le savant est considéré comme un marginal, un mélancolique, ou un dangereux athée.
Cette étude se propose de montrer comment Shakespeare et Marlowe se saisissent de ces clichés pour les transformer, par le biais de leur écriture théâtrale. Loin d’épouser l’optimisme de Francis Bacon, qui croyait que la science pourrait élargir l’empire de l’homme sur la nature, Shakespeare et Marlowe proposent une vision plus ambiguë du savant, qui semble toujours pris en tenaille entre les rêves de puissance et la « ruine de l’âme ». Ce faisant, ils inaugurent une tradition littéraire qui se prolongera jusqu’à l’époque contemporaine : celle qui, du professeur Tournesol chez Hergé au Docteur Folamour de Kubrick, voit dans l’homme de science un personnage étrange et décalé, un spécimen d’humanité plus ou moins dangereux, et plutôt fou que sain d’esprit.
Caractéristiques
Sommaire
Introduction
PREMIÈRE PARTIE. — RÉALITÉS ET REPRÉSENTATIONS : LA PLACE DU SAVANT DANS LA SOCIÉTÉ ANGLAISE RENAISSANTE. IMAGES DE SOI, IMAGES DE L'AUTRE
Chapitre premier. La place du savant dans la société anglaise renaissante
La place du savant dans l'ordre social
Diversité des fortunes savantes : essai de typologie des hommes de science
Chapitre II. Représentations du savant : le mélancolique et le nécromant
Le savant solitaire et mélancolique
Le savant entre athéisme et nécromancie
Chapitre III. Autoportraits savants. Isolement, affrontements, sociabilité
L'isolement du savant
Polémiques et affrontements entre savants
Entraide et réseaux de sociabilité
DEUXIÈME PARTIE. — FAUSTUS, PROSPERO. LA FIGURE DU SAVANT AU THÉÂTRE
Chapitre IV. Faustus, Prospero et les trois visages du savant
Docteur Faustus
The Tempest
Chapitre V. Le savant et les autres : domination, transgression, marginalité
Marginalité et transgression : la science faustienne
L'homme de science shakespearien : du héros rationnel au colon dominateur
TROISIÈME PARTIE. — SPLENDEUR ET MISÈRE DE L'HOMME DE SCIENCE. DU RÊVE DE PUISSANCE À LA RUINE DE L'ÂME
Chapitre VI. Faustus ou la science triviale et illusoire
Problèmes d'interprétation : orthodoxie et hétérodoxie
Le représentation de la science dans Docteur Faustus
Chapitre VII. The Tempest ou l'adieu à la science déshumanisante
« By my so potent art » (V, I, 50) : la maîtrise scientifique de la nature
Ecce homo : l'adieu à la science et le retour à l'humanité
Conclusion
Bibliographie sélective
Autour de l'auteur
Mickaël Popelard est maître de conférences en études anglophones à l’Université de Caen – Basse Normandie. Il est également l’auteur, aux PUF, de Francis Bacon. L’humaniste, le magicien, l’ingénieur (2010).