Résumé
Au nom de Winckelmann (1717-1768) sont ordinairement associés deux mythes fondateurs : dans l'ordre épistémologique, la naissance de l'histoire de l'art, dans celui du goût, la redécouverte de la Grèce au siècle des Lumières. Pour ces deux domaines, il est admis qu'il marque une rupture
Avec "L'Histoire de l'art dans l'Antiquité" paru en 1764 se réalise un bouleversement majeur : le discours historique sur l'art, qui s'était jusqu'alors fondé sur des textes anciens, s'appuie désormais sur l'observation directe des oeuvres. Winckelmann fait parler les statues avant de laisser parler les textes. Du point de vue du goût, il opère dans la doctrine de l'imitation un déplacement géographique majeur : au paradigme français de l'Antiquité romaine, il oppose le paradigme allemand de l'Antiquité grecque.
Qu'en est-il réellement de ces deux ruptures ? Winckelmann est-il cet historien et ce théoricien de l'art radicalement moderne que nous décrit la tradition ? Pour répondre à ces questions, le présent ouvrage s'appuie sur des documents d'une richesse rare et encore peu exploités : ses recueils de notes de lectures, vaste bibliothèque privée portable et manuscrite qui ne le quittait jamais. Ces cahiers éclairent deux aspects majeurs de son activité intellectuelle : son activité de lecteur et son travail d'écriture.
Consulter ces manuscrits, c'est pénétrer dans l'atelier de l'écrivain. C'est suivre pas à pas l'élaboration de sa culture, reconstituer la géographie personnelle de ses connaissances par rapport à la carte générale des savoirs de son époque, percer à jour la méthode même de ses ouvrages. C'est aussi corriger bien des filiations mythiques. Points de jonction permanents entre l'oeuvre lue et l'oeuvre à écrire, ces recueils de notes jettent un jour nouveau sur la genèse de l'histoire de l'art.
Texte de couverture
Caractéristiques
Sommaire
Introduction. Le mythe winckelmannien
Première partie
Le culte du livre
I LA LECTURE COMME ÉCRITURE DE SOI
Les deux cultures winckelmanniennes du livre
Pourquoi copier ?
Les bibliothèques allemandes à l’époque des Lumières
Winckelmann et les bibliothèques : évolution du rapport aux imprimés
Le pèlerinage vers le livre
Bouleversement du modèle érudit : le départ à Rome en 1755
La rupture de Nöthnitz
L’éveil du scepticisme livresque : la Reichshistorie du comte de Bünau et le catalogue Francke
II LIRE, COPIER, ÉCRIRE
Apprendre à lire
Brève histoire de l’extrait à l’époque moderne
Un copiste moderne ?
Copier
Écrire
L’œuvre inachevée
Montaigne comme maître de lecture
La citation au risque de l’auteur
La longue chaîne de la compilation
L’art de l’extrait et ses implications épistémologiques
III DU POLYHISTOR À L’HOMME DE LETTRES. LA RECHERCHE D’UN NOUVEAU MODÈLE INTELLECTUEL
Winckelmann polyhistor
Le modèle de l’historia litteraria
La quête de l’éloquence. La littérature moderne comme école d’écri-ture
Un nouveau modèle intellectuel
La réception de la Geschichte der Kunst des Altertums en France et en Allemagne
Deuxième partie
L’antinomie première : Antiquité-Modernité
I WINCKELMANN, ANCIEN CONSÉQUENT OU MODERNE REFOULÉ ? La genèse des Gedanken über die Nachahmung et la Querelle des Anciens et des Modernes
La Querelle des Anciens et des Modernes et l’ordre des lectures de Winckelmann
Structure de l’œuvre, structure de la Querelle : les Gedanken et leurs compléments de 1756
Historicité. Normativité. Les lectures de Winckelmann et l’ordre théorique des Gedanken,
II CE QU’IMITER VEUT DIRE
Peindre, écrire
L’imitation dans la bibliothèque manuscrite de Winckelmann
De la bibliothèque au texte : naissance d’une esthétique néo-classique de l’imitation
L’imitation entre retour à l’origine et conquête de l’originalité
La nécessité de « l’esthétique »
Troisième partie
Pourquoi la Grèce ?
I ÉTAT DES LIEUX. LA GRÈCE DANS L’ORDRE DES SAVOIRS AU DÉBUT DU XVIIIe SIÈCLE
La quête de l’origine
Le déclin des études grecques en Allemagne
La Grèce comme sujet historiographique en Europe au début du XVIIIe siècle
La notion d’art grec
L’individuation winckelmannienne de la Grèce : éléments d’une enquête archéologique
L’art grec et l’art romain dans la Geschichte der Kunst,
L’Angleterre et l’originalité grecque
L’utopie grecque contre le voyage en Grèce
II LA CONSTRUCTION D’UNE NATION GRECQUE
Essai de nomenclature identitaire. La liberté
Les lois de Montesquieu
La nature grecque
Déterminisme politique ou déterminisme climatique ?
La théorie des climats. Winckelmann lecteur de Du Bos, ou comment l’on retourne un auteur contre lui-même
Le sang grec
Linéaments d’une ethnologie de l’art. La Geschichte der Kunst entre verticalité et transversalité des cultures
L’autarcie grecque
Ethnologie verticale contre ethnologie transversale. Winckelmann, Caylus et Mariette
La critique de Herder
III LES MÉTAMORPHOSES DE LA LIBERTÉ GRECQUE
Liberté grecque et liberté anglaise
Les incarnations modernes de l’antinomie liberté-tyrannie
Traduction esthétique d’une antinomie politique : art grec - art baroque
La France et la Grèce
Le territoire grec et le territoire allemand
Les ambiguïtés du paradigme grec
Quatrième partie
Faire de l’art le sujet d’une histoire
I WINCKELMANN NATURALISTE. L’HISTOIRE NATURELLE ET LA NAISSANCE DE L’HISTOIRE DE L’ART
Art et sciences dans l’ordre des savoirs
De l’histoire naturelle au cabinet de curiosités
L’ordre étymologique de la nature : l’histoire naturelle et la tradition écrite
Les sciences selon Winckelmann
De l’histoire naturelle à l’histoire de l’art
Qu’est-ce que voir ? L’histoire naturelle et l’exploration de l’œil
II LE TEXTE ET LE MONUMENT. WINCKELMANN ENTRE PHILOLOGIE ET ARCHÉOLOGIE
La convention antiquaire
Lire versus voir
Variations sur un topos de la tradition antiquaire
Winckelmann et Caylus. Limites et transgression du paradigme an
Autour de l'auteur
Elisabeth DECULTOT est agrégée d'allemand, chargée de recherche au CNRS, chargée de conférences à l'EPHE. Elle était rédacteur en chef du n° 13 de la Revue germanique internationale consécrée à : Ecrire l'histoire de l'art, France-Allemagne, 1750-1920