Résumé
Il y a aujourd'hui un problème de la phénoménologie transcendantale : celui de l'interprétation de la théorie de la constitution, définie par Husserl comme idéalisme de la subjectivité transcendantale, en un sens absolu et radical.
La thèse de la relativité intégrale de l'être de tout étant à l'égard de la subjectivité intentionnelle fait difficulté de tant de manières, que la constance avec laquelle Husserl l'a défendue, des Ideen à la Krisis et au-delà, apparaît comme l'un de ses plus grands paradoxes : si toute transcendance de l'être est réductible à un produit intentionnel de constitution, comment éviter de faire de la raison même une illusion transcendantale ?
Le mystère s'épaissit encore, si l'on cherche à justifier la possibilité de cet idéalisme à partir du point de départ de Husserl : la « psychologie descriptive », d'origine brentanienne, pratiquée dans les Recherches logiques.
Cette double énigme, à la fois systématique et historique, se concentre dans la question centrale de l'origine de la réduction. D'où en vient l'idée ? Quand apparaît-elle pour la première fois ? Avec quel sens ? Fut-elle d'emblée conçue comme une épochè transcendantale ? Peut-on parler d'un soudain « tournant » dans le cheminement husserlien ? Et quels sont les motifs qui auraient pu conduire un psychologue de l'activité intentionnelle, réaliste convaincu, à faire de la subjectivité intentionnelle l'origine absolue de tout être et de toute objectivité ?
Ces questions, qui ont grevé le débat sur le sens et la portée de la phénoménologie dès la première génération des élèves de Husserl, trouvent ici leur réponse. Une reconstitution historique précise, appuyée sur les textes — souvent encore inédits — élaborés par Husserl de 1901 à 1912 permet de montrer comment et pourquoi la psychologie descriptive des Recherches de 1901 s'est transformée, au fil des mutations de la réduction phénoménologique, en l'idéalisme transcendantal radical — et définitif — des Idées. Surtout, l'enquête génétique permet de résoudre le problème délicat des rapports de continuité/discontinuité entre l'attitude naturelle et la réduction transcendantale. Elle autorise ainsi un point de vue critique et démystifié, sur l'idéalisme radical qui est censé la légitimer.
— Jean-François Lavigne —
Caractéristiques
Sommaire
Introduction. —Le problème historique
L’idéalisme transcendantal husserlien : le problème et la thèse
La question disputée des héritiers de Husserl
L’enjeu du débat : y a-t-il une relation nécessaire entre phénoménologie(s) et idéalisme ?
Nécessité de poser historiquement le problème
Première section (mai 1901-fin 1905). — La crise de la psychologie descriptive et la conversion immanentiste-eidétique de la « phénoménologie »
I. Le premier essai d'une théorie phénoménologique de la connaissance : l’échec des Recherches logiques
Première partie (1901-1903). La première crise méthodologique : de la « phénoménologie » comme psychologie descriptive à la phénoménologie eidétique-immanentiste
II. La nouvelle position ontologique et méthodologique de la phénoménologie en 1903. La recension d’Elsenhans
III. Le désaveu des Recherches logiques par Husserl : la naissance d’une autocritique des Recherches
IV. Les textes de 1901 postérieurs à la publication des Recherches remettent-ils en question leur méthodologie ou leur ontologie ?
V. Début 1902-juin 1903 : le premier revirement décisif : l’abandon de la « psychologie descriptive »
Deuxième partie (1903-fin 1905). De la phénoménologie immanentiste à la phénoménologie pure de la subjectivité absolue : un second revirement décisif entre 1904 et 1906 ?
VI. La phénoménologie husserlienne en 1905 : déjà la découverte de la réduction transcendantale ?
VII. La portée des analyses de 1904 et 1905
Deuxième section (hiver 1905-printemps 1907). — Le passage de la phénoménologie de l’immanence réelle à la phénoménologie pure transcendantale
VIII. 1905-1906 : une transition ?
IX. La percée de la phénoménologie nouvelle : le semestre d’hiver 1906-1907
Troisième section (1907-1912). — Le déploiement de la phénoménologie transcendantale et la consolidation de son idéalisme
X. Première mise en œuvre concrète de l’interprétation transcendantale de la constitution : la subjectivité phénoménologique pure, absolue, anonyme (printemps 1907-fin août 1909)
XI. Vers une théorie générale de la subjectivité transcendantale constituante
Conclusion. — Les étapes de l’évolution méthodologique et philosophique de la recherche husserlienne, des Recherches logiques à Ideen I
Annexes
Liste des manuscrits husserliens cités ou mentionnés
Index nominum
Bibliographie
Autour de l'auteur
Jean-François Lavigne, ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de philosophie et docteur ès lettres, est professeur de philosophie contemporaine à l'Université de Nice. Spécialiste de phénoménologie, traducteur et commentateur de Husserl (Husserl. Chose et Espace, Leçons de 1907, Puf, 1990), il dirige actuellement le Centre de recherches d'histoire des idées (CRHI) de l'Université de Nice – Sophia-Antipolis.