Résumé
Gouverner les mémoires se présente comme une synthèse inédite traitant des politiques de la mémoire dans la France contemporaine. Loin de toute polémique, la juste distance prise par l’auteur offre des clés indispensables pour comprendre les controverses mémorielles qui agitent notre scène sociale et politique. À la croisée de l’histoire et de la science politique, le travail de J. Michel analyse les transformations des représentations officielles de souvenirs communs (« les régimes mémoriels »), surtout depuis la Troisième République. Au cours de ce processus, l’auteur étudie, d’une part, comment les politiques de la mémoire se construisent dans l’interdépendance des acteurs publics et des acteurs sociaux (« les entrepreneurs de mémoire »), d’autre part, comment les instruments d’action publique (commémorations, lois mémorielles, manuels d’histoire…) ont un impact direct sur l’art officiel de gouverner les mémoires.
La thèse centrale de l’ouvrage consiste à montrer que nous sommes passés d’un régime mémoriel dans lequel prédomine l’imaginaire de l’unité nationale à une pluralité de régimes mémoriels (régime mémoriel de la Shoah, de l’esclavage…) dans lesquels prime la reconnaissance de victimes jadis délaissées par l’imaginaire national. Les laissé(e)s-pour-compte de l’histoire et de la mémoire d’hier revendiquent aujourd’hui une nouvelle place symbolique dans le nouveau récit collectif. Ces luttes pour la reconnaissance particulière de mémoires blessées provoquent en retour des résistances de la part d’acteurs politiques et sociaux attachés au régime mémoriel de l’unité nationale. Le temps n’est pas encore venu de l’apaisement des mémoires par lesquelles se joue l’institution imaginaire des identités collectives.
Caractéristiques
Sommaire
Préface. — « Juste mémoire » ou raisonnable oubli
Introduction. — Qu'est-ce qu'une politique mémorielle ?
Chapitre premier. — Le régime mémoriel d'unité nationale
La mémoire immémoriale et sacrée de la royauté
L'autocélébration de la Révolution
Les restaurations du régime mémoriel monarchique.
La consécration de la mémoire révolutionnaire sous la IIIe République
La démocratisation des politiques mémorielles après la Grande Guerre
La première étape de la gouvernance mémorielle
La néo-patrimonialisation de la mémoire nationale
La dénationalisation des mémoires locales
Chapitre II. — Le régime victimo-mémoriel de la Shoah
Le tournant intellectuel du Symposium de 1967
Le tournant judiciaire et mémoriel du procès Barbie
La postérité du discours de Jacques Chirac du 16 juillet 1995 et la « politique des Justes de France »
La reconnaissance victimaire des mutins de 1917, de Jospin à Sarkozy
Les reconnaissances parlementaires du génocide arménien : de la déclaration à la punition
Chapitre III. — Le régime victimo-mémoriel de l'esclavage
La consécration mémorielle de la République abolitionniste
La loi du 21 mai 2001 « tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité »
L'esclavage et la question de la repentance
Chapitre IV. — Les régimes mémoriels colonialistes
La difficile reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961
La reconnaissance victimaire des harkis et des anciens combattants
La reconnaissance de l'œuvre colonisatrice accomplie par les pieds-noirs : la loi du 23 février 2005
Les débats relatifs à l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005
Nicolas Sarkozy, le discours de Dakar et la question de la repentance
Chapitre V. — Les nouveaux visages de la gouvernance mémorielle
L'affirmation de nouveaux acteurs mémoriels
L'oubli et le pardon comme instruments d'action publique
Instruments mémoriels incitatifs et coercitifs
Conclusion
Annexe. — Chronologie sélective
Bibliographie
Autour de l'auteur
Johann Michel est professeur de science politique à l’Université de Poitiers et à l’IEP de Paris, chercheur rattaché à l’Institut Marcel Mauss (EHESS). Il est notamment l’auteur de Paul Ricœur : une philosophie de l’agir humain (Le Cerf, « Passages », 2006) et de Mémoires et Histoires. Des identités personnelles aux politiques de reconnaissance (dir., Presses Universitaires de Rennes, 2005). Il travaille actuellement sur la mémoire collective et individuelle de la guerre d’Algérie.