Résumé
Comme la tradition, la modernité « n’est plus ce qu’elle était ». Et la Bretagne en est un cas emblématique : longtemps pensée comme un territoire exemplaire des avancées de la modernisation, en réponse au processus complexe qui l’archaïsa au xixe siècle (imaginaire du celtisme, attrait touristique, typification des Bas-Bretons, etc.), elle a été le lieu d’une révolution socio-économique en l’espace de deux décennies (1950-1970). Grâce à un consensus sur le rattrapage d’un retard assumé, la Bretagne fut d’autant plus vigoureusement modernisée qu’elle pouvait passer pour le laboratoire d’une nouvelle société prospère et toujours mieux intégrée à la nation.
« Modernité à l’imparfait » : le titre de ce volume entend donc montrer que la modernité est une affaire de tensions entre sentiment de perte et consentement, implicite ou explicite, aux grandes et petites transformations dans le déroulement d’un quotidien recomposé par des enjeux planétaires.
Dans ce numéro, il est davantage question de « brittophones » que de « bretonnants » ; on y traite de clercs en rupture de ban dans ce qui fut une « terre des prêtres ». Les festoù-noz s’incarnent aussi dans l’effervescence festivalière, produit d’une société des loisirs de grande consommation ; l’architecture régionale n’a guère plus de régional que le nom ; l’agriculture moderne achoppe sur la prolifération des algues vertes ; certains se tournent vers les pratiques agricoles alternatives, tandis que d’autres observent la recomposition des pratiques de navigation, devenues terrain de jeu de vacanciers ou de plaisanciers. Loin de « l’âme bretonne », ce sont désormais les ficelles de l’humour « ethnique » qui font recette. À travers le regard de chercheurs en sciences sociales, se profilent les métamorphoses de l’identité d’une région, observée sur une trentaine d’années, qui devient un marché servant de multiples intérêts. Ainsi en est-il de cette Bretagne, qui, si elle « n’est plus ce qu’elle était », conserve toujours sa mer et, pour un temps encore, ses ardoises.
Caractéristiques
Sommaire
MODERNITÉ À L’IMPARFAIT. EN BRETAGNE
Éditeurs invités : Jean-François Simon et Laurent Le Gall
Jean-François Simon et Laurent Le Gall, Introduction. La modernité n’est plus ce qu’elle était
Ellen Badone, La Bretagne depuis trente ans : le regard d’une ethnologue canadienne
Ronan Calvez, Ce que parler du breton veut dire
Monique Le Chêne, Les algues vertes, terrain glissant
Estelle Deléage et Guillaume Sabin, Modernité en friche. Cohabitation de pratiques agricoles
Sophie Laligant, Dé-nommer, renommer le territoire. Le cas de Damgan, Morbihan
Patrick Le Guirriec, De l’espace à loisir à la pointe de la Bretagne
Ronan Le Coadic, « Tout est bon dans le Breton »
Marie-Armelle Barbier-Le Déroff, Faire du neuf avec du vieux. Fêtes, fest, festivals
Catherine Bertho, Au-delà du folklore : le Festival interceltique de Lorient
Stéphanie Brulé-Josso, Les plaisanciers et le vrai marin
Daniel Le Couédic, Le passé pour présente demeure ?
Yvon Tranvouez, Abchristianisation. Écarts et départs dans le clergé breton (1960-1990)
Jean-François Simon et Laurent Le Gall, La Bretagne, par intérêt
Patrick Prado, Boemerezh ou de l’égarement
VARIA
Fran Markowitz, Tales of Two Buildings: National Entanglements in Sarajevo’s Pasts, Presents and Futures
Jean-Philippe Dedieu, S’engager dans l’image. Migrants ouest-africains et journalistes français dans les années soixante
Comptes rendus