Pour la rentrée, ce premier chapitre du programme des essais des Puf est particulièrement riche, avec ces cinq titres dont les parutions s’étalent entre le 23 août et le 6 septembre. Le mouvement général, qui n’a rien d’anodin à une époque où sont condamnés de manière égale l’individualisme forcené et le conformisme facile, est celui d’un questionnement de l’identité : celle qui se construit dans la société moderne, chez Pascal Chabot et Byung-Chul Han ; celle qui survit dans le contournement – quand il ne s’agit pas d’un renversement – des normes et des dogmes, chez Pacôme Thiellement ; celle qui se forge au sein même d’un individu à la fois maître et esclave de son propre intellect, chez Catherine Malabou. Maurizio Ferraris, quant à lui, se penche sur cette part d’imprévisible que l’imbécillité ordinaire réserve chaque jour à nos mécaniques bien huilées.
La société de transparence, de Byung-Chul Han
Paru le 23 août, le petit livre de Byung-Chul Han, La société de transparence, nous présente un monde où la transparence, devenue dogme, est un diktat qui régit un « enfer de l’identique », au sein duquel l’honnêteté véritable est éclipsée par le gouvernement des apparences. Réseaux sociaux, Big Data, et infos en continu : autant de lois qui ne nous laissent pas d'autres choix que d’être visibles ou suspects. La question n’est pas alors de savoir si la transparence totale est un but envisageable, mais si elle est un objectif souhaitable.
Philosophe allemand d’origine, Byung-Chul Han est l’auteur de plusieurs essais qui interrogent chaque fois sous un angle nouveau notre société connectée, sans la condamner pour ce qu’elle est mais en en soulignant les travers, volontaires ou non, qui sont susceptibles de la retourner contre l’individu.
L’imbécillité est une chose sérieuse, de Maurizio Ferraris
Constater que l’imbécillité est le bien le mieux partagé par les hommes, c’est le point de départ du court traité de Maurizio Ferraris. Nous avons tous déjà ressenti le poids de notre propre imbécillité, et plus encore le poids de celle des autres (non pas que chacun ne voit que la poutre dans l’œil du voisin, s’en justifie l’auteur, mais « je suis un et les autres sont tant » que leur imbécillité me surpasse toujours). L’imbécillité du mal, l’imbécillité d’élite, l’imbécillité politique… Autant de déclinaisons avec lesquelles l’humanité doit composer, pour élaborer une histoire dont on sait désormais qu’elle est faite d’autant d’absurdités que de lumières.
Après Mobilisation totale, Maurizio Ferraris continue d’explorer les tréfonds de l’homo sapiens contemporain avec une plume toujours aussi stimulante.
La victoire des Sans Roi, de Pacôme Thiellement
Couronnement d’une œuvre protéiforme et inclassable, explorant avec une gourmandise et une intelligence sans équivalent les mille et un avatars de la pop culture afin d’en faire les révélateurs du présent, La victoire des Sans Roi apparaît comme le chef-d’œuvre de Pacôme Thiellement. Prenant pour point de départ la découverte du corpus de textes gnostiques excavé en 1945 à Nag Hammadi, en Égypte, il y propose une vertigineuse relecture de l’histoire de la chute de l’Occident à l’aune de la sagesse de ceux qui n’ont jamais accepté de se plier aux règles des religions officielles. Les gnostiques, ces premiers chrétiens qui ont refusé le Dieu roi et sa hiérarchie verticale, ont été effacés de tous les écrits du christianisme et sont pourtant si présents dans tant de courants alternatifs, qu’ils soient religieux ou culturels, depuis les manichéens jusqu’à John Lennon, en passant par les Cathares et le mouvement romantique.
Œuvre prophétique, pamphlet poétique, traité à l’érudition époustouflante, livre de vie autant que diagnostic d’époque implacable et hilarant, La victoire des Sans Roi ne ressemble à aucun autre livre.
Métamorphoses de l’intelligence, de Catherine Malabou
Comment se construit l’intelligence ? Cette interrogation qui constitue le fil du nouveau livre de Catherine Malabou est l’occasion d’une brillante réflexion sur le concept d’intelligence, qui épouse son histoire en trois temps : comment l’intelligence a-t-elle fait l’objet de « mesures » par la biologie (à la recherche d’un hypothétique « gène de l’intelligence »), puis comment a-t-elle été libérée par la remise en question du déterminisme génétique, avant d’être mise au défi par les rêves d’intelligence artificielle et d’intelligence collective.
Déjà auteure d’Avant-demain, épigenèse et rationalité, la philosophe Catherine Malabou signe à nouveau un essai fulgurant. En réponse à son précédent ouvrage, Que faire de notre cerveau ? (2004), et en référence au projet Blue Brain de simulation intégrale d’un cerveau humain par l’ordinateur, la question dès lors posée est : Que faire de leur cerveau bleu ?
Au même moment, son ouvrage Les nouveaux blessés, qui nous invite à « penser les traumatismes contemporains », est rendu disponible en poche dans la collection « Quadrige ».
Exister, résister, de Pascal Chabot
« Comment penser dans un tourbillon ? » Pour Pascal Chabot, ce tourbillon est celui des « ultraforces », les combinaisons de facteurs technologiques, économiques et numériques qui détruisent autant qu’elles construisent. Ce constat d’un technocapitalisme mondial qui pèse lourd sur les épaules de l’habitant du système, Pascal Chabot le résume ainsi : « Exister dans le système, c’est souvent être assis derrière des vitres, devant un écran. » Avoir une place, se protéger du monde, faire partie de la globalité numérique. Et maintenant ? Face à ce qui ressemble à la fin d’une ère, comment l’individu peut-il gérer ces forces qui l’écrasent ? Comment revenir vers l’autre et retrouver le plaisir d’être soi ? Comment ne pas céder aux pulsions de destruction d’un système trop fragile pour les forces qui le portent ? Il ne s’agit pas de renverser, mais bien de résister – c’est-à-dire de décider et de désirer – pour exister.
Pascal Chabot continue sa réflexion sur les forces de transition entamée avec L’âge des transitions. Son best-seller, Global burn-out, est désormais disponible en poche dans la collection « Quadrige ».