L’économiste Jean Tirole, récompensé par le prix Nobel d’économie en 2014, présente dans son premier ouvrage destiné au grand public, Économie du bien commun, une analyse complète et très pédagogique des rapports entre la société et l’économie. Sans équations, mais en multipliant les explications et les exemples, Jean Tirole parvient à rendre les sciences économiques captivantes et intelligibles. Au gré des 17 chapitres, qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres, Jean Tirole présente avec passion son métier de chercheur en économie, les rôles respectifs de l’État et du marché, les grands défis macro-économiques (climat, chômage, euro, finance…) et industriels (concurrence, économie numérique, innovation…). Jean Tirole n’oublie pas d’aborder des questions actuelles plus sensibles telles que l’ubérisation de notre société, l’écologie, les transactions sur les organes, sur les mères porteuses, ou encore sur la prostitution. (Voir le sommaire).
« L’économie est au service du bien commun ; elle a pour objet de rendre le monde meilleur ». Jean Tirole
Extraits du livre
« Où est passé le bien commun ?
Depuis le retentissant échec économique, culturel, social et environnemental des économies planifiées, depuis la chute du mur de Berlin et la mutation économique de la Chine, l’économie de marché est devenue le modèle dominant, voire exclusif d’organisation de nos sociétés. Même dans le « monde libre », le pouvoir politique a perdu de son influence, au profit à la fois du marché et de nouveaux acteurs. Les privatisations, l’ouverture à la concurrence, la mondialisation, le recours plus systématique aux mises aux enchères dans la commande publique restreignent le champ de la décision publique. Et pour celle-ci, l’appareil judiciaire et les autorités indépendantes de régulation, organes non soumis à la primauté du politique, sont devenus des acteurs incontournables.
Pour autant, l’économie de marché n’a remporté qu’une victoire en demi-teinte, car elle n’a gagné ni les cœurs ni les esprits. La prééminence du marché, à qui seule une petite minorité de nos concitoyens font confiance, est accueillie avec fatalisme, mâtiné pour certains d’indignation. Une opposition diffuse dénonce le triomphe de l’économie sur les valeurs humanistes, un monde sans pitié ni compassion livré à l’intérêt privé, le délitement du lien social et des valeurs liées à la dignité humaine, le recul du politique et du service public, ou encore l’absence de durabilité de notre environnement. Un slogan populaire qui ne connaît pas de frontières rappelle que « le monde n’est pas une marchandise ». Ces interrogations résonnent avec une acuité particulière dans le contexte actuel marqué par la crise financière, la hausse du chômage et des inégalités, l’inaptitude de nos dirigeants face au changement climatique, l’ébranlement de la construction européenne, l’instabilité géopolitique et la crise des migrants qui en résulte, ainsi que par la montée des populismes partout dans le monde. Où est passée la recherche du bien commun ? "
« Le rapport de la société à l’économie
Les deux premières parties du livre ont trait au rôle de la discipline économique dans notre société, à la position de l’économiste, au travail quotidien d’un chercheur de cette discipline, à son rapport aux autres sciences sociales et au questionnement des fondements moraux du marché.
J’ai longtemps hésité à inclure ces chapitres, craignant qu’ils ne contribuent à la « peopolisation » actuelle des économistes, dont sont parfois friands les commentateurs, et qu’ils ne détournent l’attention du lecteur du véritable objet, économique, du livre. J’ai décidé finalement de prendre ce risque. Mes discussions dans les lycées, les universités ou en dehors de ces lieux de savoir ont renforcé ma perception des interrogations que suscite ma discipline. Les questions sont toujours les mêmes : mais que fait donc un chercheur en économie ? L’économie est-elle une science ? Peut-il y avoir une discipline économique fondée sur l’« individualisme méthodologique », selon lequel les phénomènes collectifs résultent des comportements individuels et à leur tour affectent ces derniers ? Peut-on postuler une forme de rationalité des comportements, et si oui, laquelle ? Les marchés sont-ils moraux ? Les économistes sont-ils utiles alors qu’ils n’ont pas su prédire la crise financière de 2008 ?
L’économie est à la fois exigeante et accessible. Exigeante, car, comme nous le verrons au chapitre 1, nos intuitions nous jouent fréquemment des tours. Nous sommes tous vulnérables et susceptibles de céder à certaines heuristiques et à certaines croyances. La première réponse qui nous vient à l’esprit quand nous réfléchissons à un problème économique n’est pas toujours la bonne. Notre raisonnement s’arrête souvent à l’apparence, aux croyances que nous voudrions avoir, aux émotions que nous ressentons. L’économie a pour objet d’aller au-delà des apparences. Elle est une lentille qui façonne le regard que nous portons sur le monde et nous permet de regarder au-delà du miroir. La bonne nouvelle, c’est qu’une fois les pièges déjoués, l’économie est accessible. Sa compréhension n’est pas conditionnée par une instruction privilégiée ou un quotient intellectuel supérieur à la moyenne. Elle peut naître de la conjonction d’une curiosité intellectuelle et d’une cartographie des pièges naturels que nous tend notre intuition. J’émaillerai chaque chapitre d’exemples concrets pour illustrer la théorie et renforcer l’intuition. »