À l’occasion de la sortie de son ouvrage, coécrit avec Isabelle Prigent, Marchés financiers, sans foi ni loi ?, David Allouche plaide pour une finance responsable, utile et efficace. Au-delà des émotions suscitées par les derniers scandales financiers, il est nécessaire de recentrer le débat sur la réalité de la responsabilité des acteurs des marchés financiers (investisseurs, banques centrales, États), pour comprendre un système aussi dénigré que fantasmé.
David Allouche, Auteur du livre Marchés financiers, sans foi ni loi ?
La finance a ces dernières années été régulièrement pointée du doigt. Pourquoi est-elle une ennemie si facile ?
Parler des marchés financiers, c’est parler d’argent. Le regard que notre société porte sur les marchés financiers est empreint de toute l’ambivalence de notre rapport à l’argent, dans lequel la morale est historiquement omniprésente. Cette dernière a donc très logiquement occupé une place centrale dans l’analyse qui a été faite de la crise, occultant la complexité du défi posé par ce bouleversement sans précédent. Condamner la spéculation à grands cris, montrer du doigt les financiers aux dents longues, agiter le spectre de la finance sans visage ont été autant de façons de s’exonérer d’une nécessaire analyse des failles de nos sociétés surendettées et de notre responsabilité collective. Le moment est sans doute venu, après une période de « finance bashing » qui a joué son rôle de catharsis, de faire le point sur les marchés comme système de rencontre de tous les acteurs de l’économie mondialisée, pour en dégager les grandes failles et zones de progrès possibles. Globalisés, ultra-connectés, les marchés sont un miroir grossissant du fonctionnement de nos sociétés, de notre vision de l’avenir, des valeurs de notre monde. En cela, ils ont quelque chose de tout à fait effrayant et il est tentant de les désigner coupables de tous nos excès.
Les marchés financiers ont-ils un potentiel d’utilité ?
Épargner, financer, investir et gérer les risques sont autant de fonctions fondamentales qui s’exercent sur les marchés financiers et qui intéressent tout un chacun en tant qu’épargnant, futur ou actuel retraité, ou plus largement en tant que citoyen. Reconnaître l’utilité des marchés financiers ne signifie pas adhérer à un libéralisme à tous crins ni au tout marché, loin de là. Dans leur rôle de financement des entreprises et des États, les marchés peuvent clairement contribuer à orienter les ressources financières vers l’économie et vers la construction de l’avenir. Encore faut-il que les conditions soient réunies pour optimiser cette contribution. Encore faut-il également que les entreprises jouent le jeu. Encore faut-il enfin mettre en place les moyens pour inciter les comportements de long terme et décourager les acteurs court-termistes. La gestion des risques, quant à elle, si elle est mal comprise et parfois décriée, rend un véritable service aux acteurs de l’économie et doit être encadrée afin d’éviter la concentration des risques sur un petit nombre d’institutions qui ne seraient pas à même de les gérer. On a pu mesurer les dégâts d’une défaillance en la matière. C’est pour cette raison, mais pas seulement, que la régulation est un pilier essentiel du bon fonctionnement des marchés financiers. L’histoire a montré que l’autorégulation était dangereuse, mais elle nous enseigne aussi que la régulation ne fait pas tout. Il existera toujours des trous dans les mailles du filet et des stratégies de contournement.
Les marchés sont-ils sans foi ?
Parmi la myriade de croyances qui se rencontrent sur les marchés, il en est une commune à tous les investisseurs : l’avenir. Par définition, les marchés financiers sont tournés vers l’avenir. Investir aujourd’hui, c’est espérer un gain dans le futur. Mais lorsque certains investissent pour récolter leurs profits seulement quelques microsecondes plus tard… les notions même d’avenir et d’investissement perdent leur sens. Ces investisseurs d’ultra-court terme, les fameux traders haute fréquence, sont-ils plus immoraux que les investisseurs de long terme qui entrent au capital d’une entreprise pour plusieurs années ? La morale n’est pas le bon critère pour distinguer ces deux types de financiers aux pratiques totalement opposées. De manière générale, on l’a vu, la morale est hors champ lorsqu’il s’agit de finance. Il est vain de vouloir moraliser la finance car chacun, in fine, demeure libre de sa propre morale. Investir est un acte intéressé et doit le rester, alors que la morale, par nature désintéressée, reste du ressort de chaque individu. Ceux qui persistent à maintenir les débats autour de la morale sont condamnés à n’apporter que des réponses coercitives et irréalistes. Ils risquent surtout de passer à côté de l’utilité des marchés financiers pour l’économie et la société, qui doit se renforcer dans les années à venir.
Les marchés sont-ils sans loi ?
Les principes théoriques de la finance de marché ont été ébranlés par la crise. La foi dans la capacité prévisionnelle des modèles mathématiques s’est effritée. S’ajoute à cela le fait que le monde post-2008 est plus instable, plus imprévisible : nul modèle ne peut prétendre englober tous les facteurs à l’œuvre dans nos sociétés. Il nous faut tenter de comprendre les évolutions du monde et ne pas se fier aveuglément à des modèles, quelle que soit leur complexité théorique.
En tant que système, le capitalisme est amoral. Cela n’interdit pas, au contraire, de chercher à le mettre au service de la société dans son ensemble. Pour ce faire, la réglementation reste une voie à privilégier, afin de poser le cadre nécessaire autour des marchés financiers et de leurs acteurs. Le fameux adage de Goldman Sachs, l’institution américaine très décriée pendant la crise des subprimes, résume parfaitement cette rencontre entre l’amoralité et la loi : « Est-ce profitable ? Est-ce faisable ? Est-ce légal ? ». Comme pour toutes les activités humaines, la loi représente la limite la plus puissante. Lorsque les limites n’existent pas, les comportements déviants fleurissent plus volontiers. On a vu comment une réglementation laxiste, une complaisance des pouvoirs publics et des pratiques financières douteuses ont composé un cocktail explosif. Il est essentiel de faire en sorte que la multitude d’acteurs qui interviennent sur les marchés ne fasse pas courir de risque au système et se conforme à des règles renforcées. C’est là le minimum. Les quelque 300 milliards d’amendes payés dans le monde par des institutions financières en compensation de la crise de 2008 rappellent d’ailleurs que la finance n’est pas au-dessus des lois.
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