En 2012, à l’occasion du centenaire de la mort de son fondateur, la revue rappelait sa fidélité aux objectifs de Gabriel Monod :
Les historiens d’aujourd’hui traitent de Gabriel Monod et de son influence avec les armes dont il a recommandé l’usage : recherche des sources, administration de la preuve, conclusions empreintes d’une vérité que le chercheur sait et veut relative. Cette quête restitue la réalité d’un positivisme qui est loin d’être desséché comme il est si courant de le dire et de l’écrire, mais qui n’encourage pas non plus à une déconstruction de l’Histoire paralysant sa mise en récit. La fascination de Monod pour Michelet, qui passe par une même passion des archives, en dit long sur cet équilibre nécessaire entre la rigueur ascétique de la critique et le flamboiement de la plume.
C’est cette idée de la profession historienne que la Revue historique continue, après son fondateur, à défendre avec obstination.
La Revue historique reste fidèle à cette idée et la défend toujours livraison après livraison. Et en des temps où l’existence des revues de Sciences humaines peut sembler menacée, il n’est pas hors de propos de revenir à ce qui définit au mieux le travail collectif qui prélude à leur élaboration. C’est ce que la doyenne des revues académiques en histoire se propose de faire dans le numéro 680, en sa 140e année d’existence.
Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un numéro de commémoration, bien plutôt, d’un aperçu que le comité éditorial souhaite donner de son activité quotidienne, de ce qui fait qu’une publication est avant tout une aventure collective menée par une communauté de femmes et d’hommes. Ces derniers, chercheurs eux-mêmes, se réunissent régulièrement afin d’échanger sur des propositions d’articles, qui ont été lus et évalués. Une fois retenus, ces textes seront accompagnés au long d’un travail éditorial qui se traduit le plus souvent par des échanges nourris avec les auteurs, afin de livrer au public une publication originale sous la forme d’un ensemble composé, selon un ordre mûrement réfléchi et décliné en rubriques selon les pratiques de chaque revue. Ainsi la Revue historique propose quatre fois par an sur plus de mille pages des articles, parfois réunis en dossiers, des Mélanges et de nombreux comptes rendus de longueur variable sur les livres reçus à la rédaction.
Dans ce numéro sont réunis sept articles et un volume de comptes rendus plus réduit qu’à l’accoutumée, qui représentent fort bien l’esprit qui anime le comité éditorial de cette revue depuis de nombreuses années. On trouve donc, en premier lieu, deux articles d’histoire médiévale et d’histoire moderne, chacun illustrant des approches très significatives pour nos études historiques conduites en ce début de XXIe siècle, mais héritières d’une grande tradition historiographique ô combien féconde et débattue en France, à propos du servage et de l’administration royale d’une part, ou bien de l’histoire des objets littéraires, de la culture et de l’éducation d’autre part.
Un dossier, constitué au gré des envois de propositions de textes au fil des six derniers mois, permet de réunir des réflexions qui portent sur les méthodes, pratiques et périmètres du métier d’historien. C’est ainsi que le travail de l’historien le conduit à s’approprier le temps, à lui donner dès lors des rythmes particuliers qu’il estime adaptés à ses objets. La périodisation, et ses capacités à s’affranchir de certaines césures traditionnelles, mais aussi le matériau premier que constituent les traces à l’origine de tout établissement de la preuve, sont savamment interrogés dans les pages qui suivent. Les outils numériques peuvent participer à un renouvellement utile et riche de perspectives des pratiques les plus anciennes de certaines recherches, comme la prosopographie antique, forgée voici déjà plus d’un siècle.
Enfin, une communauté des historiens ne peut s’enfermer dans ses frontières « nationales ». Il importe que l’historiographie européenne et extra-européenne soit offerte à nos lecteurs, afin de féconder les approches et de nourrir les débats. C’est ce que nous proposent deux mélanges portant sur l’historiographie allemande en histoire médiévale et les historiographies sino-japonaises contemporaines. En dernier lieu, la rubrique des comptes rendus s’ouvre sur l’itinéraire personnel d’un très grand médiéviste, Jean Favier, qui fut, pendant un quart de siècle, l’un des deux directeurs de cette revue. Sa vie et son œuvre, comme toute pratique du métier d’historien avec passion et conscience, livrent des modèles qu’il convient de méditer. L’érudition la mieux maîtrisée, le débat d’idées et la production de concepts font naturellement partie de ce qui doit toujours s’apparenter à une véritable aventure humaine menée avec probité et engagement ; c’est le vœu le plus cher du comité éditorial de la Revue historique, en cette année et pour longtemps encore, que d’y contribuer du mieux qu’elle peut, avec ouverture, sans compromission ni exclusive.
Revue dirigée par Claude Gauvard et Jean-François Sirinelli
Secrétariat général : Stéphane Benoist et Isabelle Poutrin
4 numéros par an