Épimethée
Présentation
Parce que la philosophie demeure une instance privilégiée de réflexion, quels que soient les progrès des sciences exactes et les ambitions des sciences sociales ou humaines, parce qu’elle s’écrit d’abord dans et par une communauté universitaire, prise au sens large, lieu par principe ouvert, non idéologique et savant, la collection « Épiméthée » s’est toujours voulue un champ de liberté et de rigueur pour le débat rationnel, dans toutes ses circonvolutions.
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Cette collection se développe autour de trois axes : la traduction de grands textes philosophiques ; la publication d’essais d’histoire de la philosophie, enfin, l’accès à des recherches sur la rationalité contemporaine.
Nos efforts se sont en particulier portés à démontrer que la réappropriation de l’histoire de la métaphysique ne contredit pas la méditation de ses limites ; que la prise en compte de l’innovation apportée par la phénoménologie n’interdit pas l’assimilation de la philosophie analytique ou des sciences ; que la confiance dans la pensée française va de pair avec l’ouverture aux autres traditions. C’est sur le fonds sans cesse parcouru et questionné de ces héritages que la philosophie pourra remplir son rôle irremplaçable dans la cité : assurer la rationalité que sa puissance même aujourd’hui menace. Notre souhait le plus cher est qu’« Épiméthée » participe à cette ambition.
La collection « Épiméthée » fut fondée en 1953 par Jean Hyppolite, lecteur et traducteur de Hegel, grand universitaire (directeur de l’École normale supérieure, professeur au Collège de France), qui la dirigea jusqu’à sa mort en 1968. Elle était déjà devenue assez solide pour continuer à se développer sur son erre, même sans directeur attitré, jusqu’en 1981. Sur l’initiative de Michel Prigent, à l’époque juste nommé professeur de l’Université de Poitiers, j’en suis devenu le nouveau directeur. Depuis vingt ans, j’assure cette charge. Ainsi, bénéficiant d’une peu commune continuité, garantie par la fidélité des lecteurs, l’intérêt des auteurs, la solidité de l’éditeur et, sans doute aussi, la justesse des choix, « Épiméthée » a pu devenir une des plus anciennes et significatives collections de philosophie, en France et ailleurs.
Pourquoi le nom d’« Épiméthée » ? On peut deviner qu’Hyppolite entendait ainsi précisément ne pas privilégier celui de Prométhée, son frère plus célèbre. Et ce choix signifiait beaucoup, à un époque où les idéologies et les « grands récits » se disputaient la maîtrise des idées et des choses. Épiméthée, nous dit Platon, « n’était pas précisément un sage » : n’avait-il pas, lors de la distribution des dons aux races mortelles, oublié rien de moins que l’homme ? Prométhée donna « la sagesse qui sait y faire » - pourquoi donc philosopher sous l’égide d’Épiméthée, qui « demeure dans l’aporie » (Protagoras, col. 321) ? Parce que la philosophie – qui commence avec l’étonnement stupéfait devant la merveille que l’étant est – ne persiste que confrontée à des apories, arc-boutée sur elles et sans cesse relancée par leurs défis. L’aporie n’empêche pas la philosophie, mais la rend possible – et la philosophie s’assoupit dès qu’elle l’oublie. Par quoi seulement elle se distingue des sciences, toujours déjà situées dans les étants et assurées par leurs méthodes. En retrait de leur pensée prométhéenne, qui s’exténue de victoires et s’affole de raisons, Épiméthée, aporétique, lent et circonspect, pourrait donc bien, à la fin, offrir le seul nom convenable et sérieux à la philosophie dans les temps où s’accomplit la métaphysique.
Comment une collection de philosophie pouvait-elle relever ce nom ? En respectant trois principes. Premièrement, lire (donc parfois éditer, toujours traduire, annoter, commenter) les grands textes de l’histoire de la philosophie, en privilégiant, à chaque époque, les lignes de force qu’imposent le mouvement de la recherche (par exemple, l’étude de Husserl) ou les lacunes de l’édition (ainsi les textes médiévaux, l’idéalisme allemand, les origines de la philosophie analytique). Deuxièmement, accueillir, au-delà de toute préférence personnelle, les ouvrages représentatifs de la philosophie telle qu’elle se fait sérieusement dans la communauté philosophique (depuis la philosophie de la logique, des mathématiques et des sciences, jusqu’aux frontières de l’esthétique et de la théologie) ; d’où la publication de grandes thèses, qui font époque, comme aussi de recueils thématiques, demandés à des chercheurs confirmés ; voire parfois des ouvrages collectifs (actes de colloques, hommages, etc.), pourvu qu’ils marquent un événement théorique. Troisièmement, la confiance lucidement faite à de jeunes penseurs, dont on devine qu’ils deviendront des classiques (car Hyppolite avait su repérer les premiers livres de J. Derrida, G. Deleuze, M. Henry et quelques autres).
On ajoutera un dernier constat : les auteurs d’« Épiméthée » non seulement ne partagent pas toujours les mêmes orientations, mais, souvent (les exemples ne manquent pas), n’hésitent pas à discuter fermement entre eux et à s’opposer par concepts – en toute sérénité, bien sûr.
En suivant ces règles simples, mais difficiles d’exercice, « Épiméthée » a tenu son rang – celui d’une collection classique, qui n’appartient à personne (et surtout pas à son directeur) et que sa forte tradition autorise à innover, à risquer et reconnaître sans partialité le travail de l’esprit.
Aux orientations choisies par Hyppolite (histoire de la philosophie, philosophie des sciences et phénoménologie), qu’on a maintenues et amplifiées, se sont ajoutées d’autres, pour faire droit au travail effectif de la communauté philosophique des vingt dernières années (francophone et étrangère). D’abord une insistance sur l’histoire de la philosophie, entendue comme celle de la métaphysique et particulièrement de la question de l’être. Ensuite l’attention aux nouveaux développements de la phénoménologie, même au-delà de l’horizon de l’objet et de l’être. Enfin l’ouverture à la philosophie de la logique et du langage, contemporaine et parallèle à la phénoménologie (de Brentano, Russell et Wittgenstein à Davidson).
D’autres voies restent à emprunter. Le temps, qui a permis à « Épiméthée » de s’établir, lui permettra aussi de s’y engager.
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