Wilfred R. Bion

En savoir plus
Cet article provient du Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris, PUF, coll. “ Quadrige/Dicos poche ”, 2006. BION Wilfred Ruprecht, 1897-1979 Meltzer remarquait à propos de Melanie Klein : “ Les lois de l’évidence, la distinction entre description, modèle, théorie et système de notation, les différentes classes de propositions définitionnelles – rien de tout cela ne la concernait. ” Il serait possible de relire l’œuvre de Bion comme une tentative systématique de remédier à ce problème, en établissant les bases scientifiques de la théorie kleinienne. Néanmoins, limiter Bion à cela dissimulerait l’originalité de sa pensée. L’aspect bien connu de Bion tient à ses visées formalisatrices : les éléments-b et a, la fonction-a, la grille, les liens (lien L [amour], lien H [haine], lien K [connaissance], et leurs contreparties négatives : lien -L, lien -H, lien -K), les rapports contenant/contenu (O, O : symbiotique, parasitique, commensal), et la dynamique de la position dépressive/paranoïde-schizoïde (Ps D). Dès ses premiers ouvrages, Bion développe une théorie de la perception qui associe Freud et Kant. Les éléments-b représentent le donné d’une pure réceptivité. Il s’agit de perceptions psychiques “ non digérées ” qui sont soit mémorisées telles quelles pour réapparaître, par exemple, dans les “ objets bizarres ” de la schizophrénie, soit “ digérées ” par la fonction-a qui en tire des pensées oniriques ou des mythes. Ces dernières préfigurent et prédéterminent ensuite toute pensée verbale. Cette conception est au fondement de la “ grille ”. La grille classe les éléments de la pratique analytique selon deux axes, horizontal et vertical. Sur le vertical, les éléments se rangent dans un ordre croissant d’abstraction, d’élaboration et de maturation : éléments-b éléments-a, pensées oniriques et mythes, préconceptions, concepts, systèmes scientifiques déductifs et calcul algébrique. L’axe horizontal liste leurs différents usages : hypothèses de définition, dénégation, notation, attention, investigation. Selon Bion, la grille a un but pragmatique : fournir un vocabulaire commun à la communication entre psychanalystes. Moins connue et non traduite en français, est la partie clinique des œuvres de Bion. Il n’y hésite pas à rejeter l’application pratique des théories analytiques (y compris les siennes), des recettes et conseils des formateurs, des superviseurs, etc. : “ Dans un sens, ces théories [...] ont un sens pour 1a personne particulière qui les mentionne. [...] C’est la raison pour laquelle je pense qu’on peut suivre des formations et des séminaires pendant trop longtemps. Ce n’est qu’après votre qualification que vous avez une chance de devenir analyste. L’analyste que vous devenez c’est vous, et vous seul ; vous devez respecter le caractère unique de votre propre personnalité – voilà ce que vous utilisez, et non pas toutes ces interprétations ” (Bion, 2000). Depuis Cogitations, le hiatus s’estompe entre la métalogique analytique (Bion [1970] 2001) et une pratique quasi winnicottienne. Les spéculations formalistes de Bion s’inscrivent dans sa réflexion sur l’expérience subjective du processus analytique. La grille ne sert pas juste à classer après coup les phénomènes, mais s’applique aussi au processus auto-analytique de l’analyste, présent “ sur le terrain ” et sujet à ses propres transferts inconscients. Le projet de Bion s’en éclaire : il s’agit d’articuler un système scientifique-déductif, façonné pour l’approche objective, à l’expérience subjective des liens entre deux personnes engagées dans une cure. Mais contrairement à Lacan, Bion ne fait pas de la théorie du langage un dénominateur commun. Selon lui, le lien subjectif transférentiel joue essentiellement sur le registre “ infra- ” et pré-langagier des processus primaires. Dans cette idée, Bion accentue l’importance de l’appareil perception-conscience freudien. Elle fonde la méthode particulière que Bion appelle “ rêverie ” (Bion [1967] 1993) : un état éveillé ou l’analyste accueille les dires, comportements et projections transférentiels de l’analysant sur le versant d’une pensée onirique. En 1934, Samuel Beckett, souffrant d’attaques de panique et de maladies somatiques interminables, entame une cure de deux ans avec Bion. Au cours de cette expérience houleuse, Beckett rédige Murphy, qu’il terminera un an après son analyse. D’après Anzieu, Murphy ne rend pas seulement compte de l’analyse avec Bion, mais préfigure certaines idées futures de Bion. Et dans Comment c’est (1961), les personnages Pim et Bom, dont la fusion donne Biom (Anzieu [1992] 1996), représentent les deux faces de l’analyste et font écho au texte de Bion sur le jumeau imaginaire ([1950] 1993). l “ The Imago,ary Twin ” (1950),in Réflexion faite (1967), trad. F. Robert, Paris, puf, 1992. — Aux Sources de l’expérience (1962), trad. F. Robert, Paris, puf, 2003. — Éléments de psychanalyse (1963), trad.F. Robert, Paris, puf, 2004. — Transformations (1965), trad. F. Robert, Paris, puf, 2002. — Réflexion faite (1967), trad. F. Robert, Paris, puf, 1992. — L’Attention et l’interprétation (1970), trad. J. Kalmanovitch, Paris, Payot, 1990. — Clinical Seminars and Other Works, Londres, Karnac Books, 2000. u Azieu D., Beckett et le psychanalyste (1992), L’Aire, 1996. — Beckett S., Murphy (1963), trad. par l’auteur, Paris, Minuit, 1990 ; Comment c’est, Paris, Minuit, 1961. — Bléandonu G., Wilfred R. Bion : La vie et l’œuvre (1897-1979), Paris, Dunod, 1990. Thierry Simonelli