Roland Jaccard

Il est difficile de croire en sa propre existence et impossible d’y adhérer. Je ne ferai donc même pas semblant de me désolidariser de mon passé et reconnaîtrai être né à Lausanne le 22 septembre 1941, avoir obtenu quelques diplômes universitaires, écrit une thèse sur Mélanie Klein, enseigné à Paris VII, pratiqué brièvement la psychanalyse, écrit quelques romans et travaillé pour un quotidien du soir, « Le Monde », qui jouissait alors d’un immense prestige. J’ai même eu le privilège de diriger une collection, « Perspectives critiques » aux Puf, collection qui m’a permis d’élargir le cercle de mes amis et de mes ennemis, ainsi que de suivre et parfois d’anticiper les modes intellectuelles.Un snobisme infantile m’a conduit à adopter des poses nihilistes et à écrire des petits livres désenchantés susceptibles d’être lus dans la salle d’attente du dentiste.Je me sentais proche de Schopenhauer et de Cioran et j’étais fasciné par le nihilisme érotique de Louise Brooks. J’ai tenté de ne pas les décevoir. J’ai dispensé à mes lecteurs un pessimisme excessif, mais c’est le seul qui me permette d’avoir un peu de style et de déjouer les désagréments de l’existence.L’homme élégant, illustré par Romain Slocombe, condense en quelques aphorismes ce que j’ai eu la faiblesse de développer dans d’autres livres. La tentation nihiliste, Le cimetière de la morale, L’enquête de Wittgenstein, Portrait d’une flapper, tous parus aux Puf, ne sont sans doute pas les pires, à mes yeux tout au moins.Évidemment, ils ne valent pas un suicide réussi. Mais tout le monde ne peut pas être à la hauteur de ses ambitions.