Moïse Maïmonide : Livres et Livres Numériques (Ebook) - Bibliographie | PUF  

Moïse Maïmonide

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Moïse Maïmonide

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Cet article provient du Dictionnaire des philosophes, sous la dir. de Denis Huisman, 2e édition revue et augmentée, Paris, PUF, 1993.

MAÏMONIDE, 1135-1204

(Rambam)

 

Maïmonide peut être considéré comme la personnalité la plus célèbre du monde juif, connu et apprécié aussi bien chez les juifs que chez les arabes et les chrétiens et représentant une figure philosophique et scientifique de premier ordre.

Médecin célèbre, exégète de la Bible et du Talmud dont il a publié une véritable somme, à tel point qu’on l’a appelé l’ “ aigle de la synagogue ”, auteur de travaux médicaux célèbres, inspirateur d’une philosophie et d’une conception de l’homme dans laquelle il a tenté de fondre la tradition philosophique d’Aristote avec la tradition juive, la pensée grecque avec la pensée juive, Maïmonide est également considéré comme une des figures les plus importantes de la médecine arabe, et on peut donc voir dans Maïmonide un esprit universel.

Moïse ben Maïmoun, appelé en arabe Abou Amram Mousa Maïmoun Obad Allah et en termes hébraïques Rabbi Moché ben Maimon (Rambam), naquit à Cordoue en Espagne le 30 mars 1135 d’un père lui-même savant talmudiste, mathématicien et astronome. Dès son enfance à l’âge de treize ans il fut obligé de quitter Cordoue devant l’invasion des Almohades pour s’établir avec sa famille à Almeria. De là, poursuivi encore par les Almohades, il fut contraint d’émigrer à Fez avec sa famille. Dans cette ville les juifs étaient obligés d’accepter l’islam pour sauver la vie. Maïmonide, devant cette situation tragique qui plaçait les juifs devant le dilemme ou de renier leur religion ou de mourir, conseilla de faire semblant de pratiquer l’islamisme tout en restant fidèle au judaïsme afin finalement de conserver la foi juive.

De Fez, Maïmonide se rendit avec sa famille en Terre sainte à Akko (Saint-Jean-d’Acre) puis à Jérusalem puis, de là, ils se rendirent en Égypte.

Après la perte de son père, et de son frère David, fixé au Caire, Maïmonide y travailla à tous ses écrits ; il aurait été nommé même en 1175 rabbin du Caire et en même temps il exerçait la médecine. Il obtint ensuite un poste important comme médecin auprès du Sultan et à la cour de Saladin. Sa profession de médecin l’absorba de plus en plus et sa notoriété devint considérable. Il écrivit de nombreux travaux de médecine. En même temps il terminait son traité philosophique, Le Guide des égarés (Morè Nebour’him). Il avait été impressionné par la philosophie d’Aristote traduite par Ibn Sina et essaya de la concilier avec le judaïsme.

Sa réputation devint considérable dans toutes les communautés juives et en particulier dans le midi de la France illustré par Ibn Ezra, les Tibbonides, et les Kimhides, Narbonne, etc. C’est Samuel Ibn Tibbon en Provence qui traduisit les œuvres de Maïmonide. Maïmonide salua dans une lettre célèbre les juifs de Lunel comme “ tenant d’une main ferme le drapeau de la Torah ”.

Maïmonide mourut à l’âge de soixante-dix ans (20 Tebet - 13 décembre 1204) ; juifs et musulmans observèrent, dit Graetz, un deuil de trois jours. “ La communauté de Jérusalem organisa une cérémonie funèbre et décréta un jeûne général. ” Il a été enterré à Tibériade.

L’œuvre de Maïmonide est considérable. Elle contient notamment :

 

1o Le dégagement de la tradition juive, les facteurs principaux pour dégager pour la religion juive un véritable Credo comme pour les autres religions.

Ces treize articles de foi de Maïmonide sont les suivants :

 

 1) Dieu a créé et gouverne le monde ;

 2) Il est UN et unique. Il a toujours été et sera éternellement ;

 3) Il n’a pas de corps ni rien de corporel ;

 4) Il n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin ;

 5) C’est à Lui Seul que nous devons adresser nos prières ;

 6) Les paroles des prophètes sont vraies ;

 7) Moise est le plus grand des prophètes ;

 8) La loi que nous suivons est celle que Dieu a donnée à Moïse ;

 9) Cette Loi est immuable ;

10) Dieu connaît les pensées et les actions des hommes ;

11) Dieu récompense les bons et punit les méchants ;

12) Dieu enverra le Messie ;

13) Les morts ressusciteront.

 

2o De même Maïmonide a repris et systématisé toutes les ordonnances de la Bible et du Talmud. En ce qui concerne le Talmud, il a consacré un ouvrage spécial au chapitre de la Michnah intitulé “ Pirqué Aboth ” ou Maximes des Pères qui renferme les éléments fondamentaux de la Sagesse juive que Maïmonide a commenté maxime par maxime et, en outre, il a déduit de la Bible et du Talmud des lignes de conduite (Alarhot, c’est la Alarhat, c’est-à-dire la marche à suivre en toute circonstance) dégageant par exemple les fondements de la Torah (Yesodot hatorah), ceux de l’étude de la Torah, les prescriptions à l’égard des idolâtres, des “ serviteurs des astres et des sorts ” (Ovdei corhavun ou mazalot), les règles du remords et du retour à la Loi (techouvah), les règles de la prière précédant le Shema (Kriat Shema), celles concernant toutes les prières, sur le port des tephilin (instruments de prière), sur le port du taleth et du tsitsit, sur les bénédictions, la circoncision, etc. Tout cet ensemble considérable porte le nom de Michnéi Torah (redoublement de la Torah) et de “ main forte ” (Haiad harhazakah). Une autre partie est exposée sous forme de lettres (igueret, iguerot ha rambam), lettres privées ou collectives aux diverses communautés, sur des sujets variés, souvent pour invigorer la foi comme il est écrit dans les lettres d’ouverture de l’espoir (Petarh Tikvah) dans le passage suivant (p. 130) : “ C’est pourquoi nos frères le Tout Israël qui sont dispersés aux extrémités de la terre, doivent renforcer leur force pour prêter attention aux grandes comme aux petites choses, aux choses individuelles comme aux choses collectives afin que votre peuple se lie à la Vérité qui ne change pas et qui ne peut être modifiée, pour élever vos voix vers la foi, foi qui ne fléchit jamais et qui doit être incorruptible. ”

En dehors de cette œuvre religieuse et philosophique, l’œuvre de Rambam est considérable dans le domaine médical et scientifique. Ses travaux médicaux ont été réunis dans plusieurs ouvrages publiés par l’Institut Lerav Kook intitulés : Ctavim refouarim, c’est-à-dire Écrits médicaux, notamment :

 

 1) La conduite de la santé ;

 2) Les chapitres de Moïse sur la médecine ;

 3) Commentaires sur l’œuvre d’Hippocrate ;

 4) Les médecines pures ;

 5) Les moyens de renforcer les forces de l’homme ;

 6) Le livre de l’asthme ;

 7) Précis, raccourci de l’œuvre de Galien ;

 8) Les signes de la mort et les traitements contre eux ;

 9) Les noms des médicaments ;

10) Réponses aux questions médicales.

 

Les travaux de Maïmonide n’ont pas oublié le domaine de la psychiatrie. Il a écrit un chapitre remarquable intitulé “ La conduite de la santé de l’âme ”. Il a particulièrement étudié les modifications du visage de “ la lumière de la face ” (ohr panar) dans la mélancolie, l’agoraphobie, etc. Le Dr Litvaq (in memoriam) qui a publié le premier précis de psychiatrie en hébreu a consacré dans cet ouvrage un chapitre intitulé “ La doctrine de l’âme, du psychisme suivant Maïmonide et à son époque ” (p. 162-175). Maïmonide distingue des niveaux du psychisme, celui des instincts, celui de l’affectivité (hamarguish) et enfin le niveau le plus élevé, celui de l’intelligence (Sichli). En un mot Maïmonide, peut-être sous l’influence d’Aristote, distingue des âmes différentes ou des niveaux psychiques différents. Suivant une tendance philosophique distincte de la tendance à l’Unité qui domine la tradition hébraïque.

Nous ne pouvons ici analyser davantage ces travaux médicaux qui ont fait l’objet de recherches importantes du Pr Mountner (de Jérusalem) et du Dr I. Simon (de Paris)

3o Les travaux considérables de Maïmonide ont suscité surtout après sa mort de vives réactions qui, ensuite, se sont apaisées. On a surtout reproché à Maïmonide un certain dogmatisme et une transposition philosophique des données de la Torah

Suivant l’inspiration d’Aristote et des philosophes grecs la raison et le juste milieu sont supérieurs aux sentiments et aux intuitions alors que la tradition biblique et talmudique les fonde dans une unité.

Le passage suivant de Maïmonide dans la Michnée Torah, t. I, p. 4, est caractéristique à ce sujet : “ La voie droite est celle du juste milieu qui est éloignée des deux extrêmes et à égale distance de ces deux extrêmes ” et Maïmonide ajoute que l’homme doit éviter la passion, la colère. On voit que cette conception n’est pas loin de l’ “ ataraxie ” des philosophes grecs. Mais alors que dire de la prescription fondamentale de Moïse dans la prière du Shema : “ Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. ” Que dire des indignations de Moïse devant l’injustice, qui l’ont fait frapper l’Égyptien, briser les tables de la Loi devant les adeptes du Veau d’or, etc.

Dieu n’a jamais reproché ses emportements à Moïse, pas plus que ceux des Prophètes quand leur ardeur est tournée vers la défense de leur Dieu, vers la défense de la veuve, de l’orphelin, et pour relever ceux qui tombent. Ce souffle des Prophètes est-il compatible avec le juste milieu froid et impassible des philosophes ?

Mais surtout, dans Le Guide des égarés, Maïmonide s’élève contre l’anthropomorphisme et voit dans les désignations bibliques parlant de la face de Dieu, de la main de Dieu, etc., des allégories. Évoquant dans le t. I du Guide des égarés le “ prince des philosophes ” (Aristote), il estime nécessaire d’apprendre “ les règles du syllogisme et de la démonstration ainsi que de la manière de se préserver des erreurs de l’esprit ”. Or, précisément, les règles du syllogisme et de la logique formelle si caractéristiques de la tradition philosophique grecque sont en contradiction avec l’orientation de la Bible hébraïque et du Talmud.

Ici il s’agit de données historiques vécues dans leur intensité et leur émotion, et on peut dire de données expérimentales montrant l’action du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob renversant la logique de la force et de la raison pour y substituer la justice vraie, la charité et l’élan d’amour des créatures qui défend le droit devant les abus des oppresseurs ou des exploiteurs !

Cette opposition est si vraie que lorsque Maïmonide a voulu écrire un livre pour introduire la logique, livre qui a pour titre Terminologie logique et qui a été traduit en français par Ventura, on ne pouvait trouver de mot pour dire la logique. Finalement ce terme a été traduit par le terme Higayon qui veut dire exprimer des idées. Ce terme plutôt péjoratif désigne en fait le bavardage des philosophes exprimant toutes sortes de variétés d’idées d’apparence logique devant l’expérience de la réalité vécue et saisissante de l’histoire humaine, réalité qui, finalement dans la vraie tradition hébraïque est plus près de la science que de la philosophie et représente la vraie science de l’homme. C’est que la vraie philosophie juive est contenue non seulement dans les écrits de personnalités commentant ou interprétant la Bible et le Talmud mais encore et surtout dans les Midrachim (Midrach Tanhoumah, Midrach Rabah) qui, au lieu d’interpréter les textes bibliques, les éclairent en les rapprochant les uns avec les autres, ce qui met en valeur leur signification pratique. Il en est de même des Mefarchim, c’est-à-dire des commentateurs de chaque partie de la Torah, qu’il s’agisse de Rachi, de Ramban, de Or hahaim, de Ibn Ezra et de bien d’autres, commentaires qui ont surtout pour but de saisir bien exactement le texte et d’en dégager le sens. Enfin, dans ces commentaires se trouvent des écrits anonymes, notamment les Rimzei hatorah, qui synthétisent la philosophie et la métaphysique juive. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est le “ Dieu vivant ” créateur du Ciel et de la Terre dont les attributs sont les sentiments les plus élevés de l’humanité, c’est-à-dire la justice, la Charité et le Droit. C’est suivant l’expression de Rimzei hatorah “ le grand homme créateur de l’univers ” qui règne sur le monde des âmes (olam ha nechamot) dont l’âme de chaque homme représente une émanation inscrite dans un corps soumis aux instincts et aux lois de la nature, instincts parfois mauvais (yetserharah) mais qui doivent être élevés par l’inspiration divine.

Ainsi, loin de rejeter l’anthropomorphisme comme le fait Maïmonide, la tradition juive humanise l’Univers entier et, finalement, représente devant la brutalité de la nature le trésor de la défense “ de ceux qui tombent, du soin des malades, et de la libération des opprimés ” ! On voit donc qu’il existe une différence et une opposition entre la Torah et entre le point de vue de la philosophie classique hérité des philosophes grecs. Ce dernier point de vue repose sur la logique et la raison. Cette méthode a donné des résultats dans les mathématiques, dans la physique mathématique et dans certaines sciences de la nature. Mais elle ne correspond pas à la nature de l’homme chez qui la raison et le sentiment ne font qu’un, ni aux sociétés humaines qui ne peuvent vivre en paix que si elles sont animées par la justice-charité, c’est-à-dire le tsedek.

La Torah représente précisément la source de la science de l’homme. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob est un Dieu vivant bien différent du Dieu des philosophes, et il faut noter d’ailleurs que la lutte et les critiques animées par Maïmonide dans le judaïsme se sont poursuivies aussi dans le christianisme où Thomas d’Aquin a soutenu un point de vue voisin de Maïmonide qu’il cite d’ailleurs. Cependant Pascal a rappelé le Dieu vivant bien différent de celui des philosophes et récemment, Ch. Péguy inspiré de la Bible a écrit en parlant de Thomas d’Aquin que c’était un “ grand docteur, honoré, vénéré et... enterré ! ”.

Cependant l’orientation de Maïmonide a continué ensuite surtout en Provence, notamment par Gersonide dans le Languedoc, né en 1288, auquel Charles Touati a consacré un gros ouvrage. Gersonide était notamment inspiré de Maïmonide et de Averroès. Plus tard, ces tendances philosophiques se sont heurtées à des renouveaux mystiques notamment chez les Hassidim.

 

l Le Guide des égarés, traité de théologie et de philosophie, publié par S. Munk, 3 vol., Paris, Éd. Maisonneuve, 1978, et Verdier, 1979 ; Épîtres, Verdier, 1983 ; Le Livre de la connaissance, puf, 1986 ; Le Livre des commandements, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1987.

 

® Ch. Touati, La pensée philosophique et théologique de Gersonide, Paris, Éd. de Minuit, 1973 ; le grand rabbin Bauer, Dix-neuf siècles d’histoire juive, de 70 à 1979, Paris, Éd. Keren häsefer, 1979 ; Dr Litvaq, L’âme et ses maladies, Tel-Aviv ; Dr Jean Benamara, Actualité de Maïmonide, commentaire et traduction inédite de sa lettre médicale au roi Alazdal, thèse, Faculté médicale de Strasbourg, 1973 ; H. Baruk, Civilisation hébraïque et sciences de l’homme, 1 vol., 1re éd., Paris, Zikarone, 1965 ; 2e éd., Paris, Librairie Colbo, 1979 ; A. Badawi, Histoire de la philosophie en Islam, Vrin, 1972 ; R. Brague, Maïmonide, puf, 1988.

Henri Baruk

 

Bibliographie de Moïse Maïmonide

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Le Livre de la connaissance forme la première partie du Mishné Torah, code religieux destiné au peuple juif et contenant, selon son auteur...