Maurice Allais

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Cet article provient du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, tome 1, sous la dir. de Monique Canto-Sperber, 4e édition revue et augmentée, Paris, PUF, coll. “ Quadrige/Dicos poche ”, 2004.
ALLAIS Maurice né en 1911
Économiste français. Il sort major de la promotion de 1933 de l’École polytechnique, obtient deux prix de l’Académie des Sciences : le prix Laplace et le prix Rivot (1933), s’oriente vers la recherche en physique, et entre à l’École nationale supérieure des mines de Paris. A sa sortie de l’École des mines, aucun poste de chercheur en physique n’est disponible. Il remplit donc ses engagements envers l’État dans le corps des Mines (nommé à Nantes). L’expérience poussera l’ingénieur des Mines vers l’économie. En 1944, il devient professeur d’économie à l’École des mines de Paris et il est directeur de recherche au cnrs en 1946. M. Allais reçoit le prix Nobel en 1988.
Traité d’économie pure 1943-1952
Le Traité consiste en un exposé systématique de la nature des agents économiques, de la représentation de leurs comportements, de leurs interrelations, de la mesure des grandeurs économiques, des notions de biens et de prix, dans le cadre d’un modèle intertemporel d’interdépendance générale. Sont abordés les problèmes de l’équilibre et de l’optimum (propriétés, existence, relations) mais aussi l’étude de la dynamique du déséquilibre, de la dynamique de l’équilibre, du rôle du travail et du rôle de la rente foncière.
Cet ouvrage recèle nombre de contributions originales qui ont constitué des progrès décisifs pour la science économique. Ainsi de la première preuve rigoureuse du théorème d’équivalence entre équilibre de marché et optimum de Pareto, de son extension au cadre intertemporel, de la mise en relief de la correspondance entre répartition des revenus et détermination d’un optimum parétien. Le souci de résoudre des questions concrètes ne quitte jamais l’auteur : Allais tient compte, par exemple, de l’existence de technologies non convexes et propose des conditions nécessaires et suffisantes pour la gestion de la production d’électricité ou de charbon, ou encore d’infrastructures de transport. Citons aussi la préoccupation, très en avance pour l’époque, du chemin d’évolution de l’économie vers un optimum. La réponse walrasienne du “ tâtonnement ” laisse Allais insatisfait : lorsqu’un “ commissaire-priseur ” existe, on peut en effet admettre que celui-ci annonce des prix croissants jusqu’à ce que la demande égale l’offre et, ensuite seulement, demande l’exécution de la transaction. Mais très peu de marchés fonctionnent dans un tel cadre institutionnel et le processus de “ tâtonnement ” requiert donc, en toute rigueur, des hypothèses de remplacement. Mais Allais juge ces hypothèses artificielles dans la plupart des cas et d’un intérêt limité. Il imagine donc un modèle de convergence dynamique dans lequel chaque échange s’effectue entre deux ou plusieurs agents à un prix mutuellement acceptable pour les agents concernés, c’est-à-dire tel qu’un accroissement d’utilité ou “ surplus ” revienne à chacun suite à l’échange. Naturellement, rien n’indique qu’en dehors de l’équilibre les prix de ces divers échanges soient identiques. Ils ne le deviendront qu’à un état stable (appelé équilibre de marchés pour rendre compte du caractère individualisé de chaque échange hors équilibre) vers lequel Allais démontre que l’économie converge. Or, cet état stable est un optimum parétien et les équilibres de marché walrasiens ne sont que des cas particuliers d’états stables-équilibres de marchés. La démonstration est donc achevée. Elle conduit en outre Allais à proposer le premier le concept, aujourd’hui courant, de frontière d’utilité. D’autre part, la technique de démonstration préfigure, à des détails près, la seconde méthode de Liapounov utilisée depuis les années 1960 seulement en théorie économique.
Le Traité n’est pas la bible d’un intégrisme libéral, contrairement à l’idée que beaucoup s’en font. Allais souhaite la nationalisation ou au moins un contrôle strict des monopoles naturels. Il récuse avec force les “ revenus non gagnés ”, en particulier la rente foncière. Sur ce point, son opinion a varié. Dans ce premier ouvrage, elle reste proche de celle de Walras et consiste à prôner la nationalisation des terres et leur location par l’État aux usagers de toute sorte. C’est la raison principale pour laquelle il refusa en 1947 de cosigner le manifeste de la Société du Mont-Pèlerin : Hayek était intransigeant sur la propriété privée.
Enfin, Allais pense que les agents économiques ne peuvent, la plupart du temps, percevoir les taux marginaux de substitution intertemporels qui maximiseraient l’intérêt collectif. La proportion du revenu national réservée à l’épargne en vue de l’investissement sera donc en général biaisée par défaut. Ainsi l’État doit intervenir pour rétablir un équilibre raisonnable. On aborde la théorie du capital.
Les hypothèses d’utilité espérée et le soi-disant Paradoxe d’Allais (The So-Called Allais Paradox and Rational Decisions under Uncertainly) 1979
Le contenu de ce livre est sans doute celui qui a assuré et assurera le plus la notoriété d’Allais. Ce dernier s’était en effet opposé dès la publication de la célèbre Théorie des jeux de von Neumann et Morgenstern à l’hypothèse d’utilité espérée que soutenaient, à l’aide d’une axiomatique complexe, ces auteurs. Sa brève expérience des courses de chevaux était le support de son intuition. Le terme d’ “ utilité ” étant insuffisamment défini, Allais imagina un questionnaire dont une partie devait devenir célèbre sous le nom de “ Paradoxe d’Allais ”, et qui avait pour vertu d’être insensible au concept d’utilité retenu. Le “ Paradoxe ”, initialement publié dans les années 1950, est repris dans cet ouvrage, soumis à la critique d’éminents scientifiques de divers horizons (y compris Morgenstern, dont l’ultime écrit apparaît ici), puis développé de façon nouvelle et plus complète par Allais.
On peut résumer l’argument comme suit. Soient des loteries avec trois lots possibles donnés, qui ne diffèrent donc que par les probabilités respectivement attachées à ces trois lots. Définissons deux paires de ces loteries, a’ et a’’, d’une part, b’ et b’’ d’autre part, telles que toute règle d’utilité espérée implique, si a’ est préférée à a’’, de préférer b’ à b’’ et inversement. En outre, on définit a’ comme donnant le lot intermédiaire avec certitude et a’ comme ne différant que peu de a’ à cet égard, b’ et b’’ en étant, par contraste, éloignées. L’expérience révèle alors un effet de certitude : les deux tiers des sujets environ préfèrent a’ à a’’, du fait de la puissante attirance qu’ils ont, à son voisinage, pour la certitude d’un gain (l’attirance varie plus que linéairement avec la probabilité) et préfèrent néanmoins b’’ à b’. Il n’y a là aucun paradoxe à proprement parler, mais seulement l’invalidation expérimentale de toute règle d’utilité espérée, notamment de celle de von Neumann et Morgenstern. L’une des implications immédiates de ce résultat est que l’ “ attitude par rapport au risque ”, c’est-à-dire la façon dont nous apprécions les modifications de probabilité entre deux contrats risqués (ou loteries), n’est pas seulement une caractéristique de l’individu, mais dépend en outre, pour chaque individu donné, de l’ensemble de la structure de risque, de la définition complète du contrat. Cela explique, sans aucun autre argument, pourquoi un même individu peut rationnellement acquérir un billet de loterie et un contrat d’assurance, ce que Friedman et Savage n’avaient pu expliquer de façon satisfaisante en s’appuyant sur l’espérance d’utilité neumannienme. Tel est le fondement de la théorie allaisienne de la décision en avenir risqué (Allais, 1984, 1988). L’application de telles idées à l’exploration minière au Sahara valut à Allais le Lanchester Prize de la société américaine de Recherche opérationnelle (1957).
Fréquence, probabilité et hasard 1983
Diverses expériences, faites par Allais sur un pendule paraconique, tendent à démontrer que le mouvement du pendule subit des perturbations périodiques inexpliquées par les lois de la gravitation. On se bornera ici à constater que ces contributions ont reçu, en 1959, le prix Galabert de la Société française d’astronautique et le prix de la Gravity Research Foundation aux États-Unis. Ces recherches reflètent la grande unité de pensée de Maurice Allais.
En effet, Allais est convaincu de l’existence de phénomènes vibratoires universels. Pour lui, ces vibrations donnent l’apparence du hasard à divers phénomènes du monde physique comme du monde socio-économique. Il prouve que, sous des conditions assez peu restrictives, la somme de N fonctions quasi périodiques tend asymptotiquement avec N vers une loi de Laplace-Gauss ( “ théorème T ” ). Il est donc inutile, pour démontrer le Théorème Central-Limite, de supposer que les variables dont on fait la somme sont elles-mêmes aléatoires, suivant la tradition instaurée par de Moivre et Laplace : elles peuvent n’avoir rien à faire avec le “ hasard ”. Si chacune de ces variables résulte de l’effet d’une cause et de perturbations périodiques dues à l’univers vibratoire, il suffit d’imaginer que de nombreuses causes agissent sur un phénomène pour montrer que celui-ci prendra tous les aspects du “ hasard ”, alors même qu’il s’agit d’un phénomène parfaitement déterministe.
Allais argumente que le calcul des probabilités se fonde sur la combinatoire (déterministe) et sur des axiomes implicites tout à fait contestables. Pour lui, on assimile trop souvent entr’elles des notions aussi hétérogènes que la fréquence mathématique, que l’on présente dans tous les manuels scolaires, à partir de la combinatoire, comme “ la ” probabilité ; la fréquence empirique d’un phénomène, “ mesure approchée de la fréquence intrinsèque, lorsque celle-ci ne peut être déterminée a priori par des considérations de symétrie ” ; la probabilité objective, estimation de la fréquence intrinsèque déduite de l’expérience antérieure en raison de certaines caractéristiques d’un phénomène (par exemple, si toutes les boules d’une urne sont identiques à leur couleur près, les blanches étant en nombre égal aux noires, on attribuera une “ probabilité objective ” de 1/2 au tirage d’une boule blanche comme à celui d’une boule noire pour des raisons de “ symétrie ” et en raison de l’expérience antérieure, même si des tirages précédents de dix boules ont fait chacun apparaître dix boules blanches) ; la probabilité subjective, enfin, qu’Allais préfère appeler degré de vraisemblance, “ de caractère éminemment subjectif, dont relèvent en dernière analyse l’interprétation de nos modèles et leur extrapolation pour l’avenir ”. Ces assimilations sont faites couramment sans explications rigoureuses et révèlent, pour Allais, la faiblesse conceptuelle du calcul des probabilités.
(B. Munier)
u A la recherche d’une discipline économique, première partie : L’économie pure, Paris, Ateliers Industria, 1943 ; repris sous le titre Traité d’économie pure, Paris, Imprimerie nationale, 5 vol., 1952 ; première éd. imprimée en entier, Paris, Éd. Clément Juglar, 1992. — Économie pure et rendement social, Paris, Sirey, 1945. — Économie et intérêt, Paris, Imprimerie nationale, 2 vol., 1947. — “ Fondements d’une Théorie positive du choix comportant un risque et critique des postulats et axiomes de l’École américaine ”, Actes du colloque international sur le risque, Paris, Éd. du cnrs, 1953, 257-332 (vol. 40 des “ Colloques internationaux ”). — “ Explication des cycles économiques par un modèle non linéaire à régulation retardée ”, Metroeconomica, VIII, 1, 1956, 4-83. — “ Explication des cycles économiques par un modèle non linéaire à régulation retardée. Mémoire complémentaire ”, in Les modèles dynamiques en économétrie, Paris, Éd. du cnrs, 1956, 259-308 (vol. 62 des “ Colloques internationaux ”). — L’Europe unie. Route de la prospérité, Paris, Calmann-Lévy, 1959. — “ Reformulation de la théorie quantitative de la monnaie ”, Bulletin SEDEIS, Paris, Supplément au no 928, 1965. — Monnaie et développement, Paris, École nationale supérieure des mines de Paris, 7 vol., 1968. — La libéralisation des relations économiques internationales, Paris, Gauthier-Villars, 1972. — L’impôt sur le capital et la réforme monétaire, Paris, Hermann, 1977. — “ The so-called Allais Paradox and rational decisions under uncertainty ”, in M. Allais & o. Hagen (éd.), Expected Utility Hypotheses and the Allais Paradox, Dordrecht. Reidel, 1979, 437-681. — “ Fréquence, probabilité et hasard ”, Journal de la Société de statistique de Paris, vol. 124, no 2, 1983, 70-102 ; no 3, 144-221. — “ The Foundations of the theory of utility and risk ”, in O. Hagen & F. Wenstøp (éd.), Progress in Decision Theory, Reidel, Dordrecht, 1984, 3-131. — Pour la réforme de la fiscalité, Paris, Clément Juglar, 1990. — Pour l’indexation, Paris. Clément Juglar, 1990.
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