Henri Atlan

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Par Mylène Botbol-Baum
Trente-cinq ans se sont écoulés entre les travaux innovants d’Henri Atlan sur la complexité de l'organisation biologique (L'organisation biologique et la théorie de l'information, Hermann, 1972) et le regard spinoziste sur l’épistémologie et l’éthique de ces derniers textes. Néanmoins, si l’on cherche une cohérence à cette œuvre complexe et interdisciplinaire, on retrouve la tentative de combiner hasard et déterminisme, ces concepts étant pensés dans une perspective inclusive qui lie le probable et le hasard dans une perspective déterministe.
Si, jusque dans les années 1970, la réflexion biologique d’Atlan soulève des questions philosophiques fondamentales, l’approche par la complexité lui permet de les aborder de manière neuve, voire inattendue. Lors d’un colloque à Cerisy en 1981 avec Varela, Atlan marquera en effet un tournant dans la recherche épistémologique pour qu’après le bergsonisme, se renoue une autre forme féconde de dialogue entre sciences et philosophie. La pensée de Spinoza semble alors la plus à même de systématiser ce dialogue dans une perspective moniste. Mais Henri Atlan ne l’évoque encore que de manière fugace, même si ses lecteurs reconnaissent dans le déterminisme un parallèle avec le systématisme de Spinoza, qui mènera Atlan à repenser la tension entre déterminisme et liberté et à se confronter aux textes de Spinoza, avec lequel il entre dans un dialogue fructueux dès 1986. En s’appuyant à la fois sur Wittgenstein et Spinoza, il en vient à penser une raison qui dépasse la projection de notre pensée abstraite sur la réalité. Atlan y revient dans A tort et à raison (Le Seuil, 1986), en insistant avec humour parfois sur les limites du pluralisme des rationalités.
En effet, suffit-il d’être humaniste pour faire face aux dilemmes que posent les sciences biotechnologiques à nos capacités d’agir sur la « nature » ? Si l’embryon in vitro, dès sa conception, est considéré par le droit et l’éthique comme une personne en devenir, méritant les mêmes protections que les autres personnes, voire comme un membre symbolique de l’humanité tout entière, laquelle se trouverait directement lésée si jamais cette créature était atteinte, alors l’extension du concept de personne mène à des décisions irrationnelles. Atlan montre ainsi combien l’embryon in vitro est pris en otage dans deux problématiques contiguë : celle des soucis qu’il pose quant à son statut d’individu, voire de citoyen futur, et celle de son extension du royaume privé de la reproduction au royaume biopolitique qui tient à le définir comme maillon de la filiation, et non comme simple artefact de la « post-humanité ».
Cette enjeu sera pensé à travers plusieurs ouvrages par Henri Atlan dans une critique du concept néolibéral de liberté, perspective qui tend à montrer l’inanité du concept de personne en biologie et la pertinence du concept d’individuation, pouvant réconcilier discours scientifique et philosophique. Il s’agira donc toujours, à partir des enjeux éthiques posés par les sciences du vivant dans L’utérus artificiel (Seuil, 2005) ou Des embryons et des hommes (avec M. Botbol-Baum, PUF, 2007), de prendre un recul sur les croyances construites autour de l’embryon humain. Les présupposés philosophiques de l’humanisme sont réinterrogés à partir des possibilités biotechniques dans un débat prenant la mesure d’une évolution de l’humain qui, étant plus que naturel, ne doit pas nécessairement être post-humain. Atlan nous invite donc à repenser l’humanité sexuée comme projet à dimensions plurielles, régulées par un déterminisme biologique qui nous informe de plus en plus précisément sur notre contingence, et nous ouvre paradoxalement à des possibles de plus en plus vertigineux.
L’œuvre d’Atlan célèbre ainsi, de la biologie à la philosophie, la même joie curieuse, conjuguant imagination créatrice et rigueur de la pensée.