Albert O. Hirschman : Livres et Livres Numériques (Ebook) - Bibliographie | PUF  

Albert O. Hirschman

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Albert O. Hirschman

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Cet article provient du Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris, PUF, coll. “ Quadrige/Dicos poche ”, 2006.

HIRSCHMAN Albert, 1915

“ Autosubversif ”, ainsi qu’il se qualifie lui-même (1995, p. 135), Albert Hirschman est l’auteur d’une œuvre originale qui défie les classements disciplinaires. Né en 1915 à Berlin, il est d’abord économiste de formation : il fut étudiant à hec et à la London School of Economics. Mais il fut surtout celui qui a, au xxe siècle, redonné sens à l’ancienne tradition de l’économie politique, de telle sorte que son influence s’étend à l’ensemble des sciences sociales, jusqu’à l’histoire des idées, dans laquelle il se montre spécialement novateur. De plus, cet universitaire de renom, qui enseigna à Columbia, à Harvard, et à Princeton, ne perdit jamais de vue le sens de l’action politique et du réel en général. On peut, à cet égard, rappeler qu’Albert Hirschman a traversé les soubresauts du xxe siècle avec héroïsme. Jeune militant social-démocrate et juif, il s’exile en 1933 et s’engage en 1940 dans l’armée française. Après la défaite, il devient le secrétaire de Varian Fry, s’occupant avec lui de l’Emergency Rescue Committee, qui aide les Juifs étrangers, particulièrement menacés par le gouvernement de Vichy, à rejoindre les États-Unis. Repéré par la police de Vichy, il parvient à fuir, devient citoyen américain, et fait la campagne d’Afrique du Nord et d’Italie dans l’armée américaine.

Homme de changement, Albert Hirschman, a écrit une œuvre profondément cohérente et unitaire, dont l’un des fils directeurs est précisément l’analyse du changement social, et de ce qu’il a nommé un “ possibilisme ”, ou encore “ une passion du possible ” (1995, p. 196). En économie, Hirschman se fit en effet d’abord connaître par des contributions théoriques et pratiques aux questions de développement et de reconstruction : il occupa des fonctions au Federal Reserve Board à l’époque de l’élaboration et de l’application du plan Marshall, puis fut conseiller en Colombie, devenant rapidement un spécialiste de l’Amérique latine et du Tiers Monde. S’appuyant sur ces expériences, les premiers ouvrages, National Power and the Structure of Foreign Trade en 1945 et The Strategy of Economic Development en 1958, font la théorie des conditions de possibilité du changement économique, et des obstacles que celui-ci rencontre. C’est dans Exit, Voice and Loyalty ([1970] 1995) en 1970, que Hirschman prend un premier tournant, en s’interrogeant non plus seulement sur les conditions de réussite du développement mais aussi sur les raisons de son échec. Dès lors, il lui apparaît que l’économie ne peut s’analyser par elle-même, mais que la dimension économique se comprend aussi par l’analyse des moyens dont use une société pour exprimer sa déception à l’égard du progrès économique, voire son refus de celui-ci. Au-delà de l’étude des stratégies sociales de défection et de prise de parole, c’est un nouveau champ de recherche qui s’est alors ouvert à Albert Hirschman. Si “ la science sociale de notre temps n’est pas parvenue à élucider les conséquences politiques de la croissance économique ” ([1977] 2005), il importe, selon lui, de s’interroger sur le sens même du progrès, à la fois dans l’histoire des idées et dans la rhétorique politique. De là, deux ouvrages majeurs, The Passions and the Interests ([1977] 2005) et The Rhetoric of Reaction ([1991] 2003) Hirschman y forge une véritable science des effets. Qu’il s’agisse d’étudier la naissance de l’esprit du capitalisme, ou bien la résistance à l’idée de progrès, la méthode est la même : tenir compte non seulement des conséquences directes des actions mais aussi des effets involontaires des discours. Avec Hirschman, l’inintentionnel, l’insu, et le retournement discursif obtiennent droit de cité dans l’histoire des idées. Ainsi ne faut-il pas, selon lui, analyser le capitalisme comme “ un assaut donné de l’extérieur à un système préexistant d’idées et de rapports sociaux économiques ” ([1977] 2005) comme Weber ou Marx l’ont fait, mais décrire ce surgissement d’un esprit nouveau comme le produit d’un processus endogène, qui n’entrait pas dans les intentions de ceux qui ont pourtant contribué. Décrire comment une idée se compose à partir de fragments disparates, jusqu’à devenir une croyance collective capable de guider l’action et de changer l’histoire, s’avère également heuristique pour étudier l’argumentation politique dans l’espace public. Ainsi, pour comprendre l’opposition actuelle des progressistes et des conservateurs, ne faut-il pas s’en tenir à une approche idéologique, mais également analyser les armes rhétoriques employées par les deux camps. Or, les penseurs réactionnaires, depuis la Révolution française, débattent essentiellement des conséquences des changements sociaux. Thèse de “ l’effet pervers ”, thèse de l’ “ inanité ”, thèse de la “ mise en péril ” tiennent le plus souvent lieu d’analyse. Certes, comme le remarque in fine Hirschman, il existe aussi une rhétorique progressiste qui fait volontiers usage du “ chantage à la catastrophe ”, ou de l’argument du “ sens de l’histoire ” pour soutenir un changement. Mais l’essentiel est de parvenir à recouvrer notre faculté d’étonnement et d’entendre ainsi un peu mieux ce que nous disons, afin de changer, sinon les choses, du moins la façon dont nous les envisageons.

 

l National power and the Structure of Foreign Trade (1944), Berkeley, University of California Press, 1980. — Stratégie du développement économique (1958), trad. F. Pons, Paris, Éditions ouvrières, 1974. — Défection et prise de parole (1970), trad. C. Bessayrias, Paris, Fayard, 1995. — Les Passions et les intérêts (1977), trad. P. Andler, Paris, puf, 2005. — Essays in Trespassing : Economics to Politics and Beyong, Cambridge, Cambridge University Press, 1981. — Bonheur privé et action publique (1982), trad. M. Leyris et J.-B. Grasset, Paris, Paris, Hachette, 2006. — L’Économie comme science morale et politique, trad. I. Chopin, P. Andler, C. Malamoud, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1984. — Vers une économie politique élargie, trad. A. O. Hirschman et I. Chopin, Paris, Minuit, 1986. — Deux siècles de rhétorique réactionnaire (1991), trad. P. Andler, Paris, Fayard, 2003. — Un Certain Penchant à l’autosubversion (1986-1994), trad. P.-E. Dauzat, Paris, Fayard, 1995.

 

u Varian F., La Liste noire (1997), trad. E. Ochs, Paris, Plon, 1999. — Frobert L. & Feraton C., L’Enquële inachevée, Introduction à l’économie politique d’Albert O. Hirschman, Paris, puf, 2003.

 

Hélène L’Heuillet

Principales publications d’Hélène L’Heuillet :
Basse politique, haute police. Une approche philosophique et historique de la police, Paris, Fayard, 2001 ;
– « Le pouvoir chez Lacan et Foucault », Le Célibataire, n° 9, automne 2004, numéro coordonné par Hélène L’Heuillet et François Wahl ;
La Psychanalyse est un humanisme, Paris, Grasset, coll. « Nouveau collège de philosophie », 2006.


Bibliographie de Albert O. Hirschman

Les passions et les intérêts

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